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Image de la semaine | 05/12/2016

Les forêts et leurs arbres, des limiteurs d'érosion

05/12/2016

Cyril Langlois

ENS de Lyon - Préparation à l'agrégation SV-STU

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Effet protecteur des arbres et de leurs racines face à l'érosion, exemples à Cuba, en Haïti / République dominicaine ainsi que dans le Jura et les Alpes.


Un secteur d'une forêt de Cuba montrant une reprise d'érosion

Figure 1. Un secteur d'une forêt de Cuba montrant une reprise d'érosion

Cette reprise d'érosion peut être due à des travaux voisins, à un violent orage ayant eu lieu les années précédentes… Cette érosion a localement fait baisser le niveau du sol de plusieurs dizaines de centimètres, sauf au niveau des arbres, où les racines ont joué un rôle protecteur certain. C'est particulièrement net au niveau de deux arbres, l'un au centre droit de l'image, et l'autre situé juste au centre de l'image (zoom ci-dessous).


Effet limiteur d'érosion d'un arbre et de son système racinaire dans un secteur montrant une reprise d'érosion, Cuba

Figure 2. Effet limiteur d'érosion d'un arbre et de son système racinaire dans un secteur montrant une reprise d'érosion, Cuba

Cette reprise d'érosion peut être due à des travaux voisins, à un violent orage ayant eu lieu les années précédentes… Cette érosion a localement fait baisser le niveau du sol de plusieurs dizaines de centimètres, sauf au niveau des arbres, où les racines ont joué un rôle protecteur certain.


Action protectrice des racines des arbres face à l'érosion, Jura

Figure 3. Action protectrice des racines des arbres face à l'érosion, Jura

On peut très bien observer ce phénomène de protection en se promenant dans des forêts établie sur une topographie présentant des pentes, comme on peut en voir ici dans le Jura.


Action protectrice des racines des arbres face à l'érosion, Alpes

Figure 4. Action protectrice des racines des arbres face à l'érosion, Alpes

On peut très bien observer ce phénomène en se promenant dans des forêts établie sur une topographie présentant des pentes, comme on peut en voir ici dans les chainons subalpins.


La présence d'un couvert végétal, et surtout d'un couvert forestier change complètement l'intensité de l'altération et de l'érosion. Les parties souterraines des arbres et les champignons associés respirent et libèrent du CO2. Un couvert végétal, en particulier un couvert arboré, produit de la matière organique (dont une partie constitue l'horizon superficiel du sol) qui en se décomposant génère du COsub et des composés acides, comme les acides humiques. Les racines des arbres peuvent s'insinuer dans des fractures et les agrandir, voire en créer de nouvelles, ce qui augmente les surface de contact et d'échange eau du sol / roche mère (cf. Quand des arbres profitent des diaclases des granites pour y insinuer leurs racines, inselbergs de Klein Bolayi et des Three Sisters, complexe granitique de Bulai, Afrique du Sud et Le combat entre le théâtre antique d'Arycanda (Turquie) et les racines d'un pin). Toutes ces actions favorisent l'altération chimique (hydrolyse…) des minéraux de la roche mère. À l'opposé, la présence d'un sol (engendré par un couvert végétal) et surtout la présence de racines abondantes dans ce sol, qui fixent et retiennent les parties désagrégées de la roche mère, limite considérablement l'érosion mécanique par les eaux de ruissellement, comme le montre les quatre images précédentes. Un couvert végétal, et notamment un couvert forestier, favorise l'altération chimique mais diminue l'érosion mécanique.

Cette action protectrice d'un couvert forestier se voit dans toutes les régions et à toutes les époques. Historiquement, en France, on a surtout pris conscience de cette action protectrice des arbres au milieu du XIXème siècle. À cette époque, le port de Bordeaux s'ensablait régulièrement, ce qui nécessitait de coûteux travaux de dragage et limitait le tonnage des navires pouvant y accoster. Georges Fabre, conservateur des Eaux et Forêts, démontra qu'une bonne part des alluvions charriées par la Garonne et gênant la navigation provenait de la rivière Tarn, et en particulier du massif de l'Aigoual, une des montagnes les plus arrosées de France puisque recevant aussi bien les pluies d'origine atlantique que méditerranéenne. Ce massif, initialement boisé, avait progressivement été déboisé depuis le Moyen Âge, avec une accélération de ce déboisement à la Révolution (abolition des privilèges et droit pour tous les nouveaux propriétaires d'exploiter les forêts) puis vers le début de la révolution industrielle qui avait besoin de beaucoup de charbon de bois pour ses "fonderies". Georges Fabre devient l'artisan et le superviseur du reboisement de l'Aigoual dès 1875, reboisement qui a progressivement ralenti l'ensablement du port de Bordeaux.

La grande ile d'Hispaniola (Haïti / République domincaine) montre un exemple actuel de cet effet protecteur. L'incurie totale des pouvoirs publics haïtiens depuis des décennies a maintenu une grande partie de la population haïtienne dans une très grande pauvreté. Cette population pauvre n'a d'autre choix que de couper des arbres pour ses besoins journaliers, en particulier pour la cuisine. La pauvreté est moins grande en République dominicaine, et les habitants peuvent se payer des cuisinières à gaz ou au fioul. La frontière Haïti / République dominicaine partage l'ile en deux, avec un couvert forestier conséquent côté dominicain (à l'Est) et un couvert forestier très souvent inexistant côté haïtien (à l'Ouest). À cause de cette absence de couvert forestier, les pluies, en particulier les pluies cycloniques, entrainent une formidable érosion des sols, des torrents de boues… du coté haïtien, entrainant une augmentation de la misère. Un effet boule de neige ! Cet exemple montre aussi que l'exploitation de la biomasse à des fins énergétiques (faire la cuisine), quand elle n'est pas raisonnée et contrôlée, est écologiquement bien plus mauvaise que l'utilisation (qui doit, elle aussi, être raisonnée) des combustibles fossiles.

Un secteur de la frontière (trait jaune) entre Haïti (à gauche) et République dominicaine (à droite)

Figure 5. Un secteur de la frontière (trait jaune) entre Haïti (à gauche) et République dominicaine (à droite)

La différence de "qualité" du couvert forestier saute aux yeux.



Même secteur de la frontière Haïti / République dominicaine après un épisode cyclonique

Figure 7. Même secteur de la frontière Haïti / République dominicaine après un épisode cyclonique

La couleur rouge de la rivière montre l'intense érosion du sol, beaucoup plus importante côté haïtien que côté dominicain.


 

Cette action protectrice de la forêt se voit aussi au cours des temps géologique. Avant le Dévonien, il n'y avait quasiment pas de couvert végétal terrestre. Cela se traduit, dans les roches sédimentaires marines, par un rapport sédiments détritiques / sédiments chimiques et biochimiques très élevé : avant le Dévonien, les calcaires sont proportionnellement rares et les roches sédimentaires sont surtout des roches détritiques (grès, argilites…). On assiste à la variation de la sédimentation marine durant le Dévonien, période pendnat laquelle on assiste à "l'explosion" relative des calcaires, qui deviennent alors des roches sédimentaires très abondantes. Il suffit de se promener en Bretagne et dans les Alpes pour apprécier la rareté des calcaires au Paléozoïque inférieur et leur abondance au Mésozoïque dans les roches sédimentaires marines. Cette explosion relative des calcaires marins est due en partie à la forte baisse des apports détritiques fournis par l'érosion et à la hausse du Ca2+ venu de l'altération des continents.

L'histoire du Phanérozoïque est ponctuée de cinq grandes extinctions, pendant lesquelles au moins 50% de la biodiversité enregistrée par les fossiles disparait en un temps géologiquement très bref. L'une de ces cinq extinctions, la deuxième chronologiquement parlant, a lieu au Dévonien terminal (la crise Frasnien/Famennien). Comme les quatre autres, cette extinction est vraisemblablement multifactorielle. Mais l'une des causes démontrées est une anoxie océanique généralisée. Cette anoxie océanique serait due à deux causes directement liées à la colonisation des continents par les forêts, ce qui a complètement perturbé tous les écosystèmes et entrainé une "eutrophisation" temporaire des mers : (1) apports soudains de matière organique venue des sols continentaux en cours d'installation, et (2) blooms planctoniques dus à la soudaine richesse de la mer en ions et autres nutriments minéraux. La matière organique d'origine continentale et les cadavres de plancton proliférant auraient consommé tout l'O2 dissous dans les eaux marines, d'où l'anoxie mortelle. On dit souvent que l'apparition de l'Homme est responsable de la sixième extinction qui se profile, mais qui sait que l'apparition des arbres est sans doute en partie responsable de la deuxième extinction phanérozoïque. Mais les arbres, eux, ne savaient pas qu'ils participaient à une extinction majeure. Des généralités sur cet évènement dévonien peuvent être vues dans La biosphère, un acteur géologique majeur et des développements plus approfondis dans Le développement de la végétation continentale de l'Ordovicien au Dévonien et ses conséquences géologiques.