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Image de la semaine | 05/09/2016

Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites...

05/09/2016

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Turbidites et sédiments pélagiques des flyschs du Pays Basque, observations en baie de Loya (Lohia), à Zumaia et à Sopelana (banlieue de Bilbao) de cette formation liée à l'ouverture du Golfe de Gascogne.


photos 2013

L'un des "méga-slumps" les plus spectaculaires de la série sédimentaire du Crétacé supérieur de la baie de Loya (ou Lohia) (Hendaye, Pyrénées Atlantiques) inter-stratifié entre des marnes montrant une sédimentation "classique"

Figure 1. L'un des "méga-slumps" les plus spectaculaires de la série sédimentaire du Crétacé supérieur de la baie de Loya (ou Lohia) (Hendaye, Pyrénées Atlantiques) inter-stratifié entre des marnes montrant une sédimentation "classique"

Des couches de calcaires fins et de marnes, encore molles et gorgées d'eau, ont glissé sur une pente juste après leur sédimentation, en s'émiettant littéralement et en se plissant. Elles ravinent à leur base les marnes rouges sous-jacentes (à gauche) qui, elles, sont parfaitement "tranquilles" et non déformées, et sont recouvertes par d'autres marnes rouges (à droite) qui ont continué à se déposer sur cette brèche, après qu'elle s'est immobilisée.

La tectonique pyrénéenne a basculé ces couches d'environ 40°.

Texte inspiré de T. Juteau, Excursion Pays basque, CBGA, 2013.


Entre Biarritz et Bilbao, le long des 120 km de côtes basques, affleure une formation connue sous le nom de « flyschs du Pays Basque ». Il s'agit d'une épaisse pile sédimentaire datant du Crétacé supérieur (Albien-Cénomanien, 110 Ma) au Paléocène-Eocène (Yprésien, 55 Ma). Cette série est constituée à 80% de turbidites, et à 20% de sédiments pélagiques. Les turbidites sont elles-même constituées d'alternances de grès (calcaires ou silico-clastiques) et de marnes. Chaque banc de grès correspond au dépôt d'une avalanche sous-marine, dépôt s'étant effectué en bas d'une pente sous-marine.

La baie de Loya (également orthographié Lohia) au Nord-Est d'Hendaye (Pyrénées Atlantiques) était célèbre pour son affleurement de la couche d'argile riche en iridium matérialisant la limite KT (Crétacé-Tertiaire). Des éboulements (en 2005) ont masqué cette limite KT. Mais les sédiments qui affleurent sont malgré tout dignes d'intérêts. L'essentiel des sédiments est constitué de ces flyschs. Mais plusieurs types de niveaux remarquables sont inter-stratifiés dans ces alternances de marnes et de grès. Il y a plusieurs niveaux de méga-slumps. Il s'agit de couches de 1 à 5 m d'épaisseur constitués de brèche, brèche de morceaux de strates calcaires souvent plissées et emballés dans une matrice marneuse présentant elle-même des évidences de plissements. Ces couches remarquables sont interprétées comme le résultat du glissement sur une pente de couches de calcaires fins et de marnes, encore molles et gorgées d'eau, et ce juste après leur sédimentation. En glissant dans la pente, elles se sont plissées et  "émiettées". Elles ravinent à leur base les couches sous-jacentes qui, elles, sont parfaitement "tranquilles" et non déformées, et sont recouvertes par des marnes qui ont continué à se déposer sur ces brèches, après qu'elle se sont immobilisées.

Nous vous montrons, ci-dessous, quatre autres zooms sur ce méga-slumping que la tectonique pyrénéenne a basculé de 40°.


Vue de détail sur le centre inférieur droit du méga-slump de la Baie de Loya (Pyrénées Atlantiques)


Zoom sur le centre de la photo précédente, partie inférieure droite du méga-slump de la Baie de Loya (Pyrénées Atlantiques)

Figure 5. Zoom sur le centre de la photo précédente, partie inférieure droite du méga-slump de la Baie de Loya (Pyrénées Atlantiques)

Trois beaux plis sont visibles dans les marnes légèrement en dessous de la diagonale allant du haut à gauche au bas à droite.


En plus des traces de méga-slumping, on trouve parfois interstratifiées dans les couches "usuelles" de la baie de Loya des couches de brèches très grossières remaniant des fragments anguleux décimétriques à centimétriques. Ces fragments sont constitués de roches de couleurs variées appartenant au vieux socle paléozoïque ibérique : schistes verts et rouges d'âge permien, schistes sombres du Carbonifère, quartzites grises, etc.

Il s'agit là de très grosses avalanches sous-marines correspondant à l'écroulement de falaises entières de socle, qui affleuraient à l'air libre ou dans les parties hautes de la pente sous-marine dominant le bassin des flyschs. Au passage, ces "méga-turbidites" ou "débrites" ont raclé des dépôts calcaires à peine consolidés posés sur la pente, et en ont emporté des fragments "mous" avec elles. Ces brèches sont surmontées en continuité par des grès grossiers granoclassés de plus en plus fins, qui deviennent identiques aux grès usuels du secteur (texte inspiré de T. Juteau, Excursion Pays basque, CBGA, 2013).

Affleurement de la brèche grossière (méga-turbidite) sur l'estran de la baie de Loya

Figure 6. Affleurement de la brèche grossière (méga-turbidite) sur l'estran de la baie de Loya

Les blocs durs sont mis en relief par l'érosion de la mer qui recouvre ce secteur à chaque marée haute et qui enlève la matrice tendre.


Affleurement de la brèche grossière (méga-turbidite) sur l'estran de la baie de Loya

Figure 7. Affleurement de la brèche grossière (méga-turbidite) sur l'estran de la baie de Loya

Les blocs durs sont mis en relief par l'érosion de la mer qui recouvre ce secteur à chaque marée haute et qui enlève la matrice tendre.





Zoom sur la partie supérieure d'une séquence de méga-turbidite

Figure 11. Zoom sur la partie supérieure d'une séquence de méga-turbidite

La base de la photo est occupée par une brèche à éléments anguleux passant relativement progressivement à un grès de plus en plus fin. Une limite assez nette traverse toute la photo de gauche à droite en haut (à 5/6 de la hauteur en partant de la base). Au-dessus de cette limite, on voit un banc de grès plus fin, plus clair, avec à gauche ce qui ressemble à des downlaps progradants. Une autre séquence, de mini-turbidite cette fois.


Quand on se promène le long de la côte basque entre Biarritz et Bilbao, on peut voir différents types de turbidites, en particulier de très nombreux bancs gréseux bien granoclassés. Des cas d'école ! Ce granoclassement est un très bon critère de polarité, les éléments grossiers étant à la partie inférieure de la couche. Savoir où est « l'ancien bas » d'une couche est très utile dans des régions comme le Pays Basque qui a subi une intense tectonique durant la phase tectonique pyrénéenne à l'Éocène (cf. Zumaia (pays basque espagnol) : là où l'érosion marine joue avec les couches sub-verticales des flyschs yprésiens (Éocène inférieur) et Des p'tits plis, des p'tits plis, toujours des p'tits plis, Saint Jean-de-Luz, Pyrénées Atlantiques.

Une couche de grès d'une cinquantaine de centimètres d'épaisseur surmontée d'une couche de marne d'une dizaine de centimètres, Sopelana (au Nord de Bilbao)

Figure 12. Une couche de grès d'une cinquantaine de centimètres d'épaisseur surmontée d'une couche de marne d'une dizaine de centimètres, Sopelana (au Nord de Bilbao)

Un très beau granoclassement est visible à la base de cette couche de grès. Cette couche se trouve à Sopelana, dans la banlieue Nord de Bilbao. Pensez aussi à la géologie quand vous irez à Bilbao pour y visiter le musée Guggenheim.


Zoom cette couche de grès surmontée d'une couche de marne, Sopelana (au Nord de Bilbao)

Figure 13. Zoom cette couche de grès surmontée d'une couche de marne, Sopelana (au Nord de Bilbao)

Un très beau granoclassement est visible à la base de cette couche de grès. Cette couche se trouve à Sopelana, dans la banlieue Nord de Bilbao. Pensez aussi à la géologie quand vous irez à Bilbao pour y visiter le musée Guggenheim.


Zoom sur la base de cette couche de grès, Sopelana (au Nord de Bilbao)

Figure 14. Zoom sur la base de cette couche de grès, Sopelana (au Nord de Bilbao)

Un très beau granoclassement est visible à la base de cette couche de grès. Cette couche se trouve à Sopelana, dans la banlieue Nord de Bilbao. Pensez aussi à la géologie quand vous irez à Bilbao pour y visiter le musée Guggenheim.


En dehors des "monstres" que sont les méga-slumps et les méga-turbidites, il y a des milliers et des milliers de couches de grès turbiditique (grès calcaire ou silicoclastique) dans ce Crétacé supérieur – Paléocène basques. Certaines de ces couches révèlent de très belles structures internes allant du slumping pur aux convolutes pures. Les figures de slumping sont des "minis-plis" dus au glissement "non destructeur" d'une couche molle et gorgée d'eau sur une pente. Les convolutes sensu stricto sont des déformations causées par l'enfoncement d'une couche de sable meuble relativement dense dans une couche de boue sous-jacente particulièrement molle et peu dense. Très souvent, ces deux types de déformation (glissement et enfoncement) se font en même temps et séparer les deux composantes est très difficile. Slumpings et convolutes très souvent n'affectent qu'une couche (ou ensemble de couches) sans déformer les couches inférieures (ni bien sûr les couches supérieures qui n'étaient pas encore déposées lors de ces mouvements). Nous vous montrons des photos prises dans quatre sites, deux à Zumaia, en Espagne, et deux à la baie de Loya, en France.

Belles figures de slumping dans une couche de grès calcaires à Zumaia (Espagne)

Figure 15. Belles figures de slumping dans une couche de grès calcaires à Zumaia (Espagne)

La tectonique pyrénéenne a redressé ces couches presque à la verticale.


Belles figures de slumping dans une couche de grès calcaires à Zumaia (Espagne)

Figure 16. Belles figures de slumping dans une couche de grès calcaires à Zumaia (Espagne)

La tectonique pyrénéenne a redressé ces couches presque à la verticale.



Autres belles figures de slumping dans une couche de grès calcaire à Zumaia (Espagne)

Figure 18. Autres belles figures de slumping dans une couche de grès calcaire à Zumaia (Espagne)

La tectonique pyrénéenne a redressé ces couches presque à la verticale.




Affleurement dans la baie de Loya (Pyrénées Atlantiques) montrant plusieurs couches de grès dont l'une montre de beaux de slumps et/ou convolutes

Zoom sur des couches de grès dont l'une montre de beaux de slumps et/ou convolutes de cet affleurement dans la baie de Loya (Pyrénées Atlantiques)

Autre affleurement dans la baie de Loya montrant plusieurs couches de grès dont l'une montre de belles figures de slumping et/ou des convolutes

Zoom sur cet affleurement dans la baie de Loya montrant plusieurs couches de grès dont l'une montre de belles figures de slumping et/ou des convolutes

Zoom sur la couche de grès montrant de belles figures de slumping et/ou des convolutes, baie de Loya (Pyrénées Atlantiques)

Zoom sur la couche de grès montrant de belles figures de slumping et/ou des convolutes, baie de Loya (Pyrénées Atlantiques)

Seuls 80% du Crétacé supérieur / Paléocène basques possèdent ce caractère turbiditique, mais 20% sont des sédiments purement pélagiques, car parfois de longs intervalles de temps s'écoulaient entre deux avalanches-glissements sous-marins alors que la "pluie" sédimentaire continuait. C'est pendant ces moments de sédimentation continue purement pélagique qu'ont pu être enregistrés les cycles de Milankovitch (cf. Failles affectant une série marno-calcaire montrant des cycles astronomiques de type Milankovitch, Zumaia, Espagne). Et c'est pendant l'un de ces moments de sédimentation continue purement pélagique qu'ont eu lieu les évènements de la limite Crétacé-Tertiaire, qui ont été enregistrés au moins en trois endroits sur cette côte basque.

Il faut se demander dans quel environnement ont pu se déposer ces sédiments turbiditiques du Crétacé supérieur et du Paléocène. Ils se sont déposés dans des bassins marins relativement profonds (quelques centaines de mètres), bordés, au moins au Sud, d'une côte, côte possédant parfois (mais pas toujours) des reliefs sources de matériel détritique relativement grossier.

Mais quelle est l'origine de ces bassins profonds qui n'existaient pas au Crétacé inférieur ? Jusqu'à la fin du Crétacé inférieur (à l'Aptien), ni l'océan Atlantique plus au Nord que l'Espagne, ni sa dépendance appelée Golfe de Gascogne n'existaient. L'Ibérie était une grande ile séparée d'un ensemble Armorique-Massif Central par une mer épicontinentale très peu profonde avec iles, récifs coralliens… C'est sur la côte Sud de cette mer épicontinentale que gambadaient des dinosaures (cf. La route des dinosaures de La Rioja (Espagne)). C'est à partir de l'Albo-cénomanien et jusqu'au Campanien que le mouvement des plaques sépara l'Ibérie du reste de l'Europe, la déplaça par un coulissement sénestre de plusieurs centaines de kilomètre vers l'Est et généra une forte extension à l'Ouest du dispositif. Cette extension entraina l'ouverture du Golfe de Gascogne, avec fabrication de lithosphère océanique et d'une marge continentale entre l'Ibérie et le fond océanique du Golfe de Gascogne. Des sédiments turbiditiques se déposèrent sur cette marge. À l'extrémité orientale du Golfe de Gascogne, cette extension n'entraina pas la fabrication de lithosphère océanique, mais seulement l'amincissement de la lithosphère continentale, et donc de sa croûte. Cet amincissement de la croute continentale, isostasie oblige, entraina une subsidence importante, la formation de bassin(s) et leur remplissage par des sédiments parfois pélagiques et surtout par des sédiments turbiditiques, les fameux flyschs basques. La subsidence (et la sédimentation) de ces bassins continua après la fin de l'extension et au début de la convergence qui a suivi, car ses bassins ont fonctionné en bassins flexuraux. Il y a continuité entre la sédimentation dans ces bassins et sur la marge. La remontée de l'Afrique vers le Nord qui devient importante à partir de 50Ma e ntraina le plissement de tout le remplissage de ces bassins.

Schémas très théoriques montrant le contexte morphologique de la sédimentation pélagique (en haut) et turbiditique (en bas) dans le bassin des flyschs basque

Figure 27. Schémas très théoriques montrant le contexte morphologique de la sédimentation pélagique (en haut) et turbiditique (en bas) dans le bassin des flyschs basque

Ces deux types de sédimentation ont eu lieu en alternance du Crétacé supérieur (Albien-Cénomanien, 110 Ma) au Paléocène-Eocène (Yprésien, 55 Ma).


Localisation de la côte basque et du Golfe de Gascogne actuel

Figure 28. Localisation de la côte basque et du Golfe de Gascogne actuel

Le fond du Golfe de Gascogne est constitué de lithosphère océanique. Le Golfe de Gascogne s'est ouvert au Crétacé supérieur en séparant l'Europe stable de l'Ibérie. Le trait blanc matérialise les deux marges océaniques européenne et ibérique qui se sont faites au Crétacé supérieur. La position de la limite continent/océan est "floue" au niveau de la terminaison orientale de ce golfe. À l'Est de la terminaison du Golfe de Gascogne, là où se trouvent actuellement l'Est du Pays Basque, le Béarn et la Navarre, l'extension n'amena pas la rupture de la lithosphère continentale, mais sa croute continentale fut amincie. Il y eu subsidence et c'est là que se développa(èrent) le(s) bassin(s) des flyschs, flyschs qui se déposaient aussi sur la marge continentale à l'Ouest du Pays Basque. Il y a continuité entre la sédimentation dans le(s) bassin(s) intra-continental(aux) et sur la marge océanique ibérique.


Reconstitution "classique" du mouvement de l'Ibérie par rapport à l'Europe (supposée stable) entre l'Aptien (125 Ma) et le Campanien (80 Ma)

Figure 29. Reconstitution "classique" du mouvement de l'Ibérie par rapport à l'Europe (supposée stable) entre l'Aptien (125 Ma) et le Campanien (80 Ma)

En première approximation, le Golfe de Gascogne correspond à l'espace situé entre la côte Nord-ibérique aptienne (noire) et la côte nord-ibérique campanienne (verte). Les mouvements de rapprochement qui ont suivi et qui sont à l'origine des Pyrénées ne sont pas représentés. La rotation du bloc Corso-sarde qui se sépara de l'Ibérie à l'Oligocène terminal / Miocène et provoqua l'ouverture de la Méditerranée occidentale n'est pas non plus représentée.


Localisation des 3 sites décrits, Loya (Lohia), Zumaia et Sopelana

Figure 30. Localisation des 3 sites décrits, Loya (Lohia), Zumaia et Sopelana

La localisation précise de chaque site est donnée par les fichiers kmz suivants pour la Baie de-Loya (Lohia), Zumaia et Sopelana.