Image de la semaine | 04/07/2016
Combustion des mines de charbon et des terrils (ou crassiers) : du Germinal d'Émile Zola au Crassier Saint-Pierre à La Ricamarie (banlieue de Saint-Étienne, Loire)
04/07/2016
Résumé
Soufre, sulfures et sulfates liés à l'exploitation du charbon et à la lente combustion des déblais, lieux de réactions chimiques variées.
L'exploitation des mines de charbon entrainait la production d'un énorme volume de déblais, principalement constitués de grès, pélites et autres roches formant le mur et le toit des couches de charbon. Ces déblais était mis en tas, appelés "terrils" dans le Nord de la France, "crassiers" dans le Sud. Ces crassiers contenaient encore quelques pour-cents de charbon. Le crassier Saint-Pierre à La Ricamarie (à 5 km au Sud de Saint-Étienne) est constitué de 7 millions de tonnes de déblais issus du Puits Pigeot qui a fonctionné entre 1933 et 1983. Il est actuellement exploité depuis 1989 par l'entreprise SMTV (Société de Matériaux et Travaux du Velay) comme source de granulats, en particulier des granulats colorés car ce crassier contient beaucoup de « schistes rouges ». Il aura sans doute complètement disparu d'ici une vingtaine d'années. Ce crassier, comme quelques autres, a la particularité de se consumer lentement de l'intérieur. Les sédiments péri-charbonneux sont souvent riches en sulfures (en particulier la pyrite FeS2 et la pyrrhotite FeS), qui s'oxydent spontanément avec l'air et l'eau qui circulent dans l'intérieur des crassiers. Ces réactions exothermiques libèrent de la chaleur qui est très mal évacuée au centre du crassier ; la température s'élève donc et va permettre l'inflammation du charbon résiduel. Cette combustion interne peut perdurer des décennies. Bernard Guy et al., de l'École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne ont pu estimer une température centrale pouvant dépasser 1200°C et ayant entrainé la fusion des grès et pélites. Ces crassiers en combustion lente sont instables avec fissures superficielles, glissements, éboulements… Dans le cœur du crassier, d'innombrables réactions chimiques se produisent. Écrivons-en quelques-unes : C + O2 → CO2, 2 C + O2 → 2 CO, C + H2O → CO + H2, 4 FeS + 9 O2 → 2 Fe2O3 + 4 SO3, 2 FeS + O2 → 2 FeO + 2 S, S + H2 → H2S, SO3 + H2O → H2SO4, N2 + 3 H2 → 2 NH3...
Les vapeurs d'acide sulfurique (H2SO4) peuvent attaquer les roches et libérer divers ions majeurs ou mineurs contenus dans les roches, ions pouvant donner à leur tour des composés variés… Les composés gazeux (H2O, CO, CO2, S, SO2, H2SO4, H2S, NH3…) vont transporter ces ions divers, puis s'échapper du crassier par les fissures. Et, à la sortie de ces fissures, vont se déposer une grande variété de composés solides : soufre, sulfures, chlorures, sulfates…
Ce phénomène d'incendie des crassiers peut aussi se produire in situ dans des mines de charbons en activité ou abandonnées.
Les programmes officiels de SVT recommandent aux enseignants d'associer, autant se faire que peut, la géologie avec l'histoire, la littérature, l'art… (on pourrait espérer que la réciproque soit également recommandée). Or, ce qu'on peut voir sur le crassier Saint-Pierre, et autour d'autres crassiers ou mines en combustion, est admirablement décrit par Émile Zola, dans Germinal. Zola était un écrivain dit naturaliste, en ce sens qu'il étudiait et décrivait l'âme humaine et son environnement de façon la plus réaliste possible. Avant d'écrire, il se renseignait, allait sur place… Lire Germinal est donc riche d'enseignement sur la nature humaine, sur la situation sociale et économique de la classe ouvrière et du patronat de cette deuxième moitié du XIXème siècle, mais aussi sur les techniques d'exploitation des mines, sur l'hydrogéologie des nappes phréatiques du Crétacé qui surmontent les terrains carbonifères… et sur les phénomènes associés aux incendies de mines.
Dans le chapitre 1 de la partie 5 de Germinal, Zola écrit : « Le Tartaret, à la lisière du bois, était une lande inculte, d'une stérilité volcanique, sous laquelle, depuis des siècles, brûlait une mine de houille incendiée. Cela se perdait dans la légende, des mineurs du pays racontaient une histoire : le feu du ciel tombant sur cette Sodome des entrailles de la terre, où les herscheuses se souillaient d'abominations ; si bien qu'elles n'avaient pas même eu le temps de remonter, et qu'aujourd'hui encore, elles flambaient au fond de cet enfer. Les roches calcinées, rouge sombre, se couvraient d'une efflorescence d'alun, comme d'une lèpre. Du soufre poussait, en une fleur jaune, au bord des fissures. La nuit, les braves qui osaient risquer un œil à ces trous, juraient y voir des flammes, les âmes criminelles en train de grésiller dans la braise intérieure. Des lueurs errantes couraient au ras du sol, des vapeurs chaudes, empoisonnant l'ordure et la sale cuisine du diable, fumaient continuellement. »
Les risques d'éboulement et les dégagements gazeux (avec beaucoup de gaz toxiques) expliquent et justifient pleinement que le Crassier Saint Pierre soit interdit au public. Je remercie d'autant plus la SMTV et M. Sébastien Merle de m'avoir autorisé à visiter leur carrière et de m'y avoir guidé. Nous allons en faire une visite photographique, en pensant à la fois "réactions chimiques" et "littérature française".
Soufre, sulfates et chlorures sont les principaux dépôts que l'on retrouve autour des fissures. Mais il y en a d'autres, plus rares, qui font la célébrité de ce crassier dans le monde de la minéralogie. Le site Mindat y recense 15 espèces minérales (cf. page Crassier Saint-Pierre de ce site).
La matière organique des roches sédimentaires est naturellement riche en métaux divers, dont des métaux très toxiques (c'est l'une des bonnes raisons pour lesquelles les eaux issues de la fracturation hydraulique des black shales ne doivent pas être rejetées sans traitement dans l'environnement). Il se trouve que les sulfures présents dans le Carbonifère stéphanois sont (relativement) riches en arsénopyrite, sulfure de fer et d'arsenic (FeAsS) également connu sous le nom de mispickel. Les vapeurs s'échappant des fissures sont parfois très riches en arsenic, et, souvent, il se dépose des sulfures d'arsenic au voisinage de ces fissures. Les deux principaux sulfures d'arsenic les plus fréquents sont le réalgar (As4S4), rouge et l'orpiment (As2S3), jaune, assez facile à confondre avec le soufre. La présence de ces sels d'arsenic est une autre bonne raison pour fermer ce crassier au public, en particulier pour en empêcher l'accès aux enfants et adolescents.
Source - © 2010 Matthias Diot / mindat.org | |