Image de la semaine | 27/06/2016
Les dépôts (soufre, sulfates et sublimés divers) des fumeroles et solfatares du Vulcano (Iles Éoliennes, Italie)
27/06/2016
Résumé
Soufre volcanique des Iles Éoliennes et seul exemple connu de soufre volcanique en France métropolitaine, au pied du Puy de Sancy.
Le Vulcano est l'un des volcans "actifs" les plus faciles à visiter en Europe. Il est actuellement en sommeil, sa dernière éruption date de 1890. Mais bien que sans activité magmatique superficielle actuelle, il est le siège d'intenses dégagements fumeroliens, très spectaculaires, principalement au niveau de l'ancien cratère de 1890.
Les régions volcaniques sont très souvent riches en fumeroles et solfatares, zones de fissures, de bouches et d'évents crachant des gaz et fluides divers et s'entourant de dépôts variés, en particulier de dépôts jaunes de soufre. Il existe toute une classification/terminologie pour distinguer ces différentes sorties. Souvent on parlera préférentiellement de fumeroles si la température de sortie des gaz est supérieure à 300°C, de solfatares si la température est comprises entre 100 et 300°C. Cette séparation est souvent assez arbitraire, car la température mesurée dépend de la profondeur à laquelle on effectue la mesure, elle peut aussi varier au cours de la journée ou de l'année... Nous n'avons pas mesuré la température des gaz émis sur le Vulcano en ce mois d'avril 1982, et nous emploierons le terme de fumerole au sens le plus large.
Les gaz émis par ces fumeroles sont généralement composés, dans l'ordre décroissant, de : H2O (au moins 75%), CO2, SO2, H2S, HCl, Svapeur, HF, chlorures, sulfures et sulfates divers... Les principaux dépôts fumeroliens sont constitués de soufre bien jaune, et de sels divers (sulfates et chlorures principalement) en général blancs. Les dépôts de soufre peuvent avoir deux origines. Soit il s'agit de vapeur de soufre (abondante si T>300°C) qui se condensent en arrivant en surface où la température est faible, soit il s'agit de l'oxydation incomplète d'H2S par l'oxygène atmosphérique (ou celui présent dans les nappes phréatiques) selon la réaction 2 H2S + O2 → 2 Ssolide + 2 H2O.
En abondance, les composés soufrés, sont les troisièmes parmi les gaz volcaniques. Le soufre est présent dans le manteau, mais en faible quantité (≈ 500 ppm). Lors des processus de fusion partielle, les composés volatils et/ou incompatibles (dont H2O, CO2 et soufre) passent préférentiellement dans la phase liquide (dans le magma). Lors de la cristallisation de ce magma, ces composés volatils et/ou incompatibles restent préférentiellement dans le liquide résiduel qui s'enrichit encore en H2O, CO2 et composés soufrés. Ce sont ces composés volatils et incompatibles qui sont "doucement" libérés par le magma sur et au voisinage des volcans, même pendant les phases calmes, en dehors des phases éruptives. Ces fluides volcaniques sont très acides (H2SO4 surtout, mais aussi HCl...) ; ils attaquent les roches à travers lesquelles ils cheminent et se chargent des ions ainsi produits. C'est pourquoi il se dépose, à côté du soufre, des sels divers, dont les plus fréquents sont des sulfates doubles d'aluminium et de potassium, sels souvent regroupés sous les noms d'alun ou d'alunite, bien qu'en réalité ces deux termes désignent deux sulfates d'aluminium et de potassium différemment hydratés. L'alun de Vulcano a été exploité depuis l'époque romaine jusqu'à la fin du XIXème siècle.
On peut remarquer que les volcans associés aux subductions, comme le Vulcano, émettent en général plus de soufre que les volcans d'autres origines. Cette richesse en soufre est due à la richesse en soufre des fluides "crachés" par la lithosphère en subduction, fluides à l'origine de la fusion partielle du manteau. Ces fluides "crachés" par la lithosphère océanique sont riches en soufre parce que la lithosphère océanique a été enrichie en sulfures par l'hydrothermalisme des dorsales. L'eau de mer qui s'infiltre dans la lithosphère océanique est très riche en soufre (sous forme de SO42-, le deuxième anion de l'eau de mer, présent dans cette eau de mer à une concentration de 2,7 g/L). Ces ions sulfates sont en grandes partie réduits (car transformés en sulfures) lors de leur cheminement intra-lithosphérique, et immobilisés dans la lithosphère jusqu'à être re-libérés dans les zones de subduction.
Outre les figures 1 et 2, nous vous montrons 5 figures montrant le cadre morpho-structural de ces fumeroles du Vulcano, puis 12 figures détaillants les cristallisations de soufre et sulfates que l'on peut y admirer. Et pour finir, nous vous monterons 3 figures qui se rapportent au seul gisement de soufre volcanique de France métropolitaine, dans le massif du Sancy. Presque toutes les photos de Vulcano (sauf les figures 13 et 14) sont d'anciennes diapositives prises en 1982 sous un ciel nuageux (et parfois très gris) ce qui explique que les couleurs des dépôts de soufre n'aient pas toujours leurs teintes éclatantes habituelles.
Le soufre solide existe sous deux formes cristallines : le soufre α, jaune clair et cristallisant dans le système orthorhombique, et le soufre β, jaune foncé à rougeâtre, cristallisant dans le système monoclinique. À la pression atmosphérique, le soufre α est stable à une température inférieure à 96°C. Le soufre β est stable entre 96°C et 112°C, sa température de fusion. Le soufre liquide (T >112°C) est jaune foncé à rougeâtre comme le soufre β. Quand il se condense du soufre solide à partir de soufre vapeur, de nombreux phénomènes liés à la cinétique font que la cristallisation n'est pas toujours à l'équilibre. Mais, en général, il cristallise des aiguilles de soufre β, jaune foncé à rougeâtre, qui deviennent rapidement α, jaune "citron". La forme en aiguille subsiste, mais correspond alors à un agrégat/assemblage de petits cristaux de soufre α, agrégat très fragile. C'est pourquoi ramasser de beaux cristaux de soufre sur un volcan est décevant, car très souvent ils se brisent pendant le voyage de retour. Et si on les emballe bien dans du papier ou du tissu, ces derniers se trouvent assez souvent "rongés" par l'acide sulfurique qui se dégage des échantillons. Le soufre liquide (T >112°C) est assez rare sur le Vulcano. Il a une couleur rouge foncé à brun. On retrouvera des détails sur les différentes phases du soufre dans l'article Changements de phases du soufre, analogie avec le métamorphisme.
Dans l'imagination et l'imagerie populaire, le soufre est associé aux volcans, ce qui est vrai qualitativement, mais pas du tout quantitativement. Le très célèbre gisement du Kawah Ijen (Indonésie) (cf. Le soufre du Kawah Ijen), abondamment mis en valeur par diverses émissions de télévision et agences de tourisme, produit en moyenne 200 t/an de soufre, alors que la production mondiale (pour les besoins de l'industrie chimique, de l'agriculture...) est d'environ 60 000 000 tonnes de soufre par an (chiffre 2015). La quasi-totalité de ce soufre est d'origine sédimentaire, associé aux sulfates et/ou aux charbons et hydrocarbures. Le soufre sédimentaire est très présent en France métropolitaine (cf., par exemple, Soufre natif, gypse et sulfato-reduction ), où il a été exploité dans les sédiments oligocènes du Sud-Est (bassin de Narbonne, d'Apt...). Le soufre volcanique est bien sûr présent en Martinique, à la Guadeloupe et à La Réunion, mais, étonnamment, est très rare dans les volcans du Massif Central. Le seul gisement que je connaisse est situé dans le Massif du Sancy, dans un ravin nommé le Ravin de la Craie, où il y a association d'alunite et de soufre. Cette alunite a été exploitée artisanalement à la fin du XVIIIème / début du XIXème siècle. Le grand naturaliste auvergnat Henri Lecoq décrit ainsi ce gisement dans le tome 3 (p. 212) de son monumental ouvrage Les époques géologiques de l'Auvergne (1867) : « C'est une roche trachytique dont il est difficile de déterminer l'allure et la puissance. […]Elle contient une quantité variable, mais toujours peu considérable, de sous-sulfate d'alumine et de potasse […] Tantôt la roche prend l'aspect d'une véritable brèche, tantôt celui d'une scorie. Les cavités sont vides ou remplies par du soufre d'un jaune pur en globules fondus. Quelquefois pourtant ce soufre est cristallisé ». Un tel échantillon était présent en 1968 dans le musée Lecoq (le musée d'histoire naturelle de Clermont-Ferrand). Et j'avais repéré cet échantillon qui faisait envie au géologue en herbe que j'étais. Cent ans après Henri Lecoq, j'ai pu aller sur le terrain un dimanche après-midi chercher de tels échantillons avec un copain. Il ne restait aucune trace de l'ancienne exploitation, ni aucun affleurement montrant du soufre. Mais j'étais jeune (16 ans) et peut-être n'avais-je pas su les découvrir. Par contre, j'ai souvenir d'une assez forte odeur soufrée. Et nous avons pu découvrir à un endroit où le ruisseau local recoupait un tas d'éboulis (déblais de l'ancienne exploitation ?) un bloc de plus de 20 kg dont l'aspect correspondait tout à fait à l'échantillon du musée et à la description faite par Henri Lecoq. Et j'ai gardé un morceau de ce bloc. Depuis 1968, 48 ans se sont écoulés et la visibilité de l'affleurement s'est encore dégradée car tout ce pied du Puy de Sancy est intégré dans le domaine skiable du Mont-Dore et a été fortement "aménagé" (nivelé, engazonné, équipé de remontée mécaniques...) pour récupérer quelques centaines de mètres carrés skiables supplémentaires. Peut-on encore aujourd'hui voir le seul soufre volcanique de France métropolitaine ?