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Image de la semaine | 30/05/2016

Les vitraux d'agate et de tourmaline de la cathédrale de Zurich (Suisse)

30/05/2016

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Jessica Chumn

Philippe Chèvremont

BRGM

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Vitraux en tranches de tourmaline et d'agate artificiellement colorée, à voir au Grossmünster) de Zurich.


Vitrail en agate situé du côté oriental, au-dessus de la portée d'entrée, de la cathédrale (Grossmünster) de Zurich (Suisse)

Figure 1. Vitrail en agate situé du côté oriental, au-dessus de la portée d'entrée, de la cathédrale (Grossmünster) de Zurich (Suisse)

Ces vitraux sont l'œuvre de Sigmar Polke. Les agates de ces vitraux ont subi un traitement qui renforce artificiellement leurs couleurs.


Vitrail en agate situé du côté oriental, au-dessus de la portée d'entrée du Grossmünster de Zurich, vu de face

Figure 2. Vitrail en agate situé du côté oriental, au-dessus de la portée d'entrée du Grossmünster de Zurich, vu de face

Ces vitraux sont l'œuvre de Sigmar Polke. Les agates de ces vitraux ont subi un traitement qui renforce artificiellement leurs couleurs.



Détail du vitrail du portail oriental du Grossmünster de Zurich

Figure 4. Détail du vitrail du portail oriental du Grossmünster de Zurich

Outre leur caractère esthétique évident, ces vitraux permettent de bien voir la structure interne des géodes et autres nodules d'agate, par exemple du quartz à l'intérieur de la grosse géode bleu en bas à gauche.

Détail de la figure 2.


Détail du vitrail du portail oriental du Grossmünster de Zurich

Figure 5. Détail du vitrail du portail oriental du Grossmünster de Zurich

Outre leur caractère esthétique évident, ces vitraux permettent de bien voir la structure interne des géodes et autres nodules d'agate.

Détail de la figure 2.


La cathédrale de Zurich (Suisse) est connue sous le nom de Grossmünster (en français la "grande cathédrale"). Elle a été construite de 1100 à 1220, puis transformée en temple protestant lors de la Réforme au XVIème siècle, puis en temple évangélique. Outre son intérêt architectural, historique… elle offre aussi un intérêt géologique et minéralogique certain. En effet, le peintre allemand Sigmar Polke (1941-2010) a installé en 2009 un ensemble de sept vitraux, constitués de " tranches" fines d'agates collées les unes à côté des autres. C'est l'occasion d'admirer des dizaines de sections de géodes ou de nodules d'agate. On peut trouver des photographies de haute résolution de ces vitraux sur une page consacrée à Sigmar Polke et ses vitraux zurichois.

La silice (SiO2) existe sous plusieurs variétés cristallines ou amorphes, les plus connues étant le quartz et l'opale (qui contient une forte proportion de silice amorphe hydratée). La calcédoine est une autre variété de silice, composée de micro-fibres de silice typiquement d'un diamètre d'environ 0,1 µm. Quand ces fibres de silice se disposent en couches successives plus ou moins foncées et/ou colorées, la calcédoine s'appelle alors agate. Les agates les plus fréquentes remplissent partiellement ou totalement des géodes. Quand une cavité centimétrique à métrique existe dans une roche (le plus souvent ancienne bulle de gaz dans une roche volcanique ou sédimentaire) et que des eaux chaudes (souvent supercritiques, cf. L'état supercritique en sciences de la Terre) siliceuses imbibent et circulent dans la roche, il arrive très souvent que les parois de la cavité se tapissent de couches concentriques de calcédoine, que l'on appellera agate si le zonage est coloré et bien visible. Les conditions pouvant varier au cours de ce remplissage, on observe assez fréquemment que les couches externes sont en calcédoine et que le centre de la cavité sont rempli de quartz. S'il reste une cavité au centre de l'ancienne cavité, on aura une géode sensu stricto ; si la cavité est complètement remplie, on parlera de "nodule" d'agate. Il arrive aussi que les couches de calcédoine tapissent les parois d'une fissure et forment un filon. Cela forme des agates à couches planes et parallèles, qui s'appellent alors onyx.

Schéma très simplifié montrant l'origine des agates (ici la variété onyx) par emplissage d'une fissure

Figure 6. Schéma très simplifié montrant l'origine des agates (ici la variété onyx) par emplissage d'une fissure

Les microfibres de silice sont figurées par les traits horizontaux dans les couches de calcédoine.

Les couches de calcédoine peuvent aussi très fréquemment tapisser des cavités plus ou moins sphériques remplies par l'eau qui imbibe la roche, et former des concrétions concentriques, comme celles qu'a utilisées Sigmar Polke pour faire les vitraux du Grossmünster de Zurich.


Les agates sont assez souvent colorées. Il peut s'agir de couleurs physiques ou chimiques. En effet, les fibres de silice ne sont pas parfaitement jointives. L'agencement entre des fibres de silice (avec un indice de réfraction de 1,53) et du "vide" (ou de l'air) avec un indice de 1 peut entrainer des phénomènes d'interférences lumineuses. Et très souvent la silice n'est pas pure et contient des traces de métaux divers (souvent des métaux de transition), qui colorent telle ou telle couche de fibres avec telle ou telle couleur. Les agates portent alors des noms différents suivant leur couleur dominante (cornaline = agate rouge-orangée, chrysoprase = agate verte…).

La couleur des agates peut être artificiellement renforcée ou modifiée ; les couleurs deviennent alors beaucoup plus vives que les délicates nuances des agates naturelles. Les couleurs peuvent même être créées de toute pièce. En effet, les vides inter-fibres peuvent être imprégnés de liquides divers. L'imprégnation par des huiles minérales, changeant le contraste d'indices de réfraction fibre / inter-fibre, modifiera les couleurs d'interférence. On peut aussi faire subir des traitements chimiques qui implanteront des impuretés diverses entre les fibres de silice. Le site suisse de gemmologie donne un certain nombre de recettes industrielles ou artisanales : « Pour obtenir des agates noires ou brunes, il faut plonger l'agate dans une solution saturée en sucre, puis la plonger dans l'acide sulfurique chaud. La température de chauffage permet d'obtenir des teintes allant du brun au noir. Pour obtenir des agates rouges la pierre est plongée dans une solution de nitrate de fer, puis chauffée au four. Pour obtenir une agate jaune, la pierre est plongée dans l'acide chlorhydrique puis chauffée doucement. Pour obtenir une agate verte, la pierre est plongée dans une solution de sulfate de chrome ou de nitrate de nickel, puis chauffée. Pour obtenir une agate bleue la pierre est plongée dans une solution de ferrocyanure de potassium, puis portée à ébullition dans une solution de sulfate de fer… »

Ces techniques de coloration sont couramment employées depuis le XIXème siècle. Il semblerait que les Romains pratiquaient déjà les plus simples de ces techniques de colorations. Coupées en tranches ou lames fines, les agates colorées (naturellement ou artificiellement) peuvent être du plus bel effet.

Renforcer artificiellement les couleurs d'une pierre ornementale n'est en soi absolument pas interdit ou répréhensible. Le problème est que, souvent, les agates vendues sont artificiellement colorées sans que cela ne soit indiqué. De très nombreux objets en agate (perles, cabochons et broches, cendriers, horloges, lames décoratives…) sont en vente dans divers magasins et bourses aux minéraux. La majorité des objets (mais pas tous) vendus sont artificiellement colorés de manière "cachée". Un mensonge « par omission » !

Exemple d'objet en agate artificiellement colorée en bleu : petite horloge montée sur une tranche d'agate

Figure 7. Exemple d'objet en agate artificiellement colorée en bleu : petite horloge montée sur une tranche d'agate

On peut voir, à côté de l'horloge, le manche d'un couteau en lapis lazuli d'un tout autre bleu.


Les sept vitraux du Grossmünster de Zurich ont été réalisés par Sigmar Polke en juxtaposant de fines tranches d'agate transparente colorée, avec une volonté a à la fois artistique et religieuse. Le choix des couleurs, leur harmonie ou au contraire leur contraste, la forme des motifs internes… ont été voulus par l'artiste. Mais la vivacité et l'éclat des couleurs montrent que la majorité de ces agates ont été très vraisemblablement colorées de manière artificielle.

Nous vous montrons d'autres photos de la cathédrale de Zurich et de ses vitraux, photographiés depuis l'intérieur de l'édifice mais aussi depuis l'extérieur. Puis, à titre d'exemple, nous détaillerons un vitrail pour en faire une analyse géologique approfondie. Et enfin, nous étudierons un autre vitrail bien particulier qui utilise un autre minéral, des tourmalines...

Vue d'ensemble du Grossmünster de Zurich (Suisse)

Figure 8. Vue d'ensemble du Grossmünster de Zurich (Suisse)

Cette vue montre la façade Nord-Ouest et le flanc Sud-Ouest de l'édifice.



Zoom "extérieur" sur un vitrail d'agate situé sur le côté Sud-Ouest du Grossmünster de Zurich

Figure 10. Zoom "extérieur" sur un vitrail d'agate situé sur le côté Sud-Ouest du Grossmünster de Zurich

Même vu de l'extérieur, ce vitrail est très original et révèle déjà la beauté des agates.

Ce vitrail est vu de plus près puis de l'intérieur sur les figures suivantes.


Vitrail d'agate situé sur le côté Sud-Ouest du Grossmünster de Zurich, vu de l'extérieur

Figure 11. Vitrail d'agate situé sur le côté Sud-Ouest du Grossmünster de Zurich, vu de l'extérieur

Même vu de l'extérieur, ce vitrail est très original et révèle déjà la beauté des agates.



Ces vitraux du Grossmünster de Zurich sont une magnifique occasion de faire de la géologie en l'associant à de l'art et aux traditions religieuses. N'oublions pas que les programmes officiels recommandent d'associer l'art et la discipline enseignée autant que faire se peut (« il est bon de souligner que les sciences de la vie et de la Terre peuvent être l'occasion d'intéressantes relations avec l'enseignement d'histoire des arts » (programme de seconde, enseignement commun de SVT) et mise en œuvre les EPI au collège). Les sept vitraux d'agate représentent un véritable musée de la structure interne des géodes de calcédoine ; il faut en profiter. Étudions à fond un "morceau" de l'un des vitraux.

Détail d'un des sept vitraux d'agate (artificiellement colorée) de Sigmar Polke, Grossmünster de Zurich

Figure 19. Détail d'un des sept vitraux d'agate (artificiellement colorée) de Sigmar Polke, Grossmünster de Zurich

La photo de ce vitrail a été tournée de 70° vers la droite par rapport à l'original.

Ce détail permet de distinguer au moins trois types de structures internes de ces géodes/nodules d'agate.

Les deux nodules orangés, en bas à droite, montrent la structure la plus classique : la cavité initiale est entièrement comblée par des couches concentriques de calcédoine. Il ne s'agit donc plus d'une géode sensu stricto.

La grosse masse rouge du centre montre une périphérie en agate rouge, avec au centre du quartz cristallisé qui n'a qu'incomplètement rempli la cavité initiale. Il s'agit là d'une géode sensu stricto. Des alternances de calcédoine maintenant rouges et blanches se sont déposées sur la paroi de la cavité. Un changement dans les conditions (P, T, chimie du fluide…) se traduit ensuite d'abord par la précipitation d'une couche de calcédoine différente, devenue rouge très foncé après la coloration. Puis les conditions ont encore changé, et il s'est mis à cristalliser du quartz. Le centre de la cavité est plein d'une substance rouge qui remplit le vide résiduel de la géode (nouvelle génération de calcédoine ou plus probablement remplissage de résine ?).

La masse violacée, en haut au centre, a une histoire plus complexe. Il semble qu'il y ait eu au moins deux épisodes de cristallisation d'agate tapissant les parois de la cavité. On voit en effet un épais niveau violet qui recoupe manifestement des couches concentriques plus externes. Les couches concentriques violettes sont de plus en plus foncées vers l'intérieur. Mais elles "épargnent" un vide plus clair rempli d'un dépôt de couches blanches et violettes horizontales. Ce "vide" devait toujours être plein d'eau, mais les conditions avaient dû changer. De la silice colloïdale ou microcristalline y a précipité et s'est déposée par gravité sous forme de couches horizontales qui ont rempli ce qui restait de l'ancienne cavité. Sigmar Polke ne devait pas être géologue, car il a disposé ces "strates" à 70° (d'où la rotation de la photo pour les "remettre à l'horizontale") et non pas dans leur position originale que la nature (Dieu ?) leur avait attribuée à l'origine.


Sigmar Polke a aussi réalisé des vitraux en verre, dont un vitrail mixte verre – minéraux, vitrail représentant le « bouc émissaire » (der Sündenbock), bouc que Moïse, sur l'ordre de Dieu, chargea de tous les péchés d'Israël avant de l'envoyer dans le désert. Ce bouc chargé de tous les péchés du monde est devenu l'« Agneau de Dieu » dans la tradition chrétienne. Sigmar Polke a représenté ce bouc avec des plaies (nos péchés). Ces plaies sont figurées par des tranches de tourmaline polychrome montrant bien les stries de croissance (triangulaires) et d'autres caractéristiques de la structure interne des cristaux comme la croix à trois branches joignant parfois les sommets des triangles (voir des détails sur les tourmalines par exemple sur le site gggems.com : caractéristiques et tranches de tourmalines).

Le « bouc émissaire » (der Sündenbock) de Sigmar Polke, vitrail en verre coloré incrusté de tranches fines de tourmaline

Figure 20. Le « bouc émissaire » (der Sündenbock) de Sigmar Polke, vitrail en verre coloré incrusté de tranches fines de tourmaline

La structure interne des cristaux de tourmaline, avec ses "motifs triangulaires" et/ou sa "croix à trois branches disposées à 120°", se voit même sur cette vue d'ensemble.


Détail de la partie supérieure du vitrail der Sündenbock, Grossmünster de Zurich

Figure 21. Détail de la partie supérieure du vitrail der Sündenbock, Grossmünster de Zurich

On voit neuf sections de tourmaline montrant plus ou moins bien les motifs triangulaires et/ou la croix à trois branches disposées à 120°, motifs caractéristiques de la structure interne de ce minéral.


Gros plans sur des sections de tourmaline du vitrail der Sündenbock, Grossmünster de Zurich

Figure 22. Gros plans sur des sections de tourmaline du vitrail der Sündenbock, Grossmünster de Zurich

On voit bien les triangles emboités et/ou la croix à trois branches disposées à 120°, figures assez caractéristiques de la structure interne de la tourmaline.


Schémas théoriques simplifiés expliquant l'origine des triangles emboités et de la croix à trois branches que l'on trouve dans certaines sections de cristaux de tourmaline

Figure 23. Schémas théoriques simplifiés expliquant l'origine des triangles emboités et de la croix à trois branches que l'on trouve dans certaines sections de cristaux de tourmaline

La tourmaline est un cyclosilicate qui cristallise dans le système trigonal (système cristallin à symétrie d'ordre 3, souvent appelé rhomboédrique par les minéralogistes francophones). Elle forme des prismes à base triangulaire ou hexagonale (et souvent intermédiaire entre ces deux formes). Le cristal de tourmaline croît en général par sa pointe, et croît beaucoup plus en longueur qu'en épaisseur, d'où la forme des cristaux en baguette prismatique. Dans les schémas ci-dessous, pour des facilités de dessin, la pyramide terminale a un angle beaucoup plus aigu que dans les tourmalines réelles. Toujours pour des facilités de dessin, la croissance du prisme en épaisseur, beaucoup plus faible que sa croissance en longueur, n'a pas été représentée ici.


Gros plan sur la pointe d'un cristal de tourmaline noire

Figure 24. Gros plan sur la pointe d'un cristal de tourmaline noire

On voit très bien le prisme à trois faces et les trois arêtes à 120° qui terminent ce cristal de 6 cm de large. La couleur et l'opacité de ce cristal ne permettent pas de voir sa structure interne.


Si vous passez par Zurich, aller voir le Grossmünster et ses extraordinaires vitraux d'agate et de tourmaline !