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Article | 02/06/2012

Séismes des 20 et 29 mai 2012 en Italie du Nord

02/06/2012

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les séismes de Campo Santo et Medolla, rapide compte-rendu de ces cas d'école bien documentés... et en phase avec le nouveau programme de terminale S.


Le 20 mai 2012, le Sud-Est de la plaine du Po fut ébranlée par un séisme de magnitude 6. Ce séisme fit 6 morts, de nombreux blessés, et de très importants dégâts. Neuf jours plus tard, une importante "réplique" de magnitude 5,8, dont l'épicentre n'est qu'à une vingtaine de kilomètres à l'Ouest-Nord-Ouest de l'épicentre du séisme principal, ébranla les maisons et édifices déjà abimés par le choc principal, ce qui causa de nombreux écroulements. Il causa la mort de 16 personnes supplémentaires.

Ces évènements sismiques sont l'occasion de rappeler comment connaitre toutes les caractéristiques géologiques d'un séisme dès le lendemain. C'est également un séisme "intéressant" pour les lycéens, car son contexte géologique (le front d'une zone chaine de collision) est au cœur du programme. De plus, ce séisme est associé à un phénomène de subsidence due à une réponse isostatique, et localisée au niveau d'une anomalie négative de la gravité (anomalie à l'air libre). Or l'isostasie rentre au programme de terminale S dès la prochaine rentrée.

Le contexte géologique de la plaine du Po est bien expliqué dans de nombreux ouvrages, en particulier dans Les Grandes Structures Géologiques de J. Debelmas, G. Mascle et C. Basile (Dunod 2008), livre que chaque professeur de SVT se doit d'avoir dans sa bibliothèque.

Accéder aux données techniques d'un séisme

Comme ce fut le cas pour le séisme de L'Aquila, en 2009, commençons par rappeler la démarche à suivre pour obtenir rapidement des informations scientifiques à propos d'un séisme.

1 – Aller sur la page de garde de l'USGS / Earthquake Hazards Program. Les séismes les plus récents sont indiqués à gauche.


2 – Cliquer sur le tremblement de terre qui vous intéresse, ici, celui du 20 mai 2012. On arrive sur une page de généralités concernant le séisme choisi.


3 – En cliquant sur diverses rubriques de la colonne de gauche, on peut obtenir par exemple la carte des intensités ressenties (Did You Feel It?) et le mécanisme au foyer (Technical).

4 - De même, pour le séisme du 29 mai 2012, près de Medolla.

Replacer les séismes de mai 2012 dans leur contexte géodynamique

Avec les mécanismes au foyer, on voit qu'il s'agit de deux séismes très semblables, dus aux jeux de failles inverses, de direction N100. Or, le contexte géodynamique de ces séismes se trouve bien décrit dans l'ouvrage Les Grandes Structures Géologiques (2008). Il suffit de consulter cet ouvrage, de faire quelques recherches web… pour bien expliquer aux élèves ce qui se passe en Italie du Nord. Toutes les régions sismiques n'ont pas la "chance" d'être aussi bien documentées que cela dans les ouvrages "classiques".

Contexte tectonique des tremblements de terre des 20 et 29 mai 2012 en Italie du Nord

Figure 8. Contexte tectonique des tremblements de terre des 20 et 29 mai 2012 en Italie du Nord

Cette vue montre la Plaine du Po, vue depuis la côte adriatique en direction de l'Ouest. Au Nord, les Alpes.

Le trait rouge montre la localisation approximative du front de l'Apennin, chaine de montagne qui chevauche la plaine du Po vers le Nord. La localisation des foyers des séismes de mai 2012 est indiquée par des punaises jaunes. Le trait AB indique le tracé (approximatif) de la coupe de la figure ci-après.


Carte de la profondeur de la base du Pliocène dans la plaine du Po

Figure 9. Carte de la profondeur de la base du Pliocène dans la plaine du Po

La zone sismique de mai 2012 est figurée par l'étoile rouge. Les zones hachurées verticalement correspondent aux reliefs (Alpes au Nord, Apennins au Sud). Les principaux chevauchements, apparents ou masqués sous les sédiments plio-quaternaires de la plaine du Po, sont indiqués, ainsi que les isobathes (en km) de la base du Pliocène. Les zones figurées en grisés sont les zones où l'épaisseur du Plio-quaternaire est supérieure à 4 km. L'épaisseur maximale (8 km) est atteinte, justement, au niveau des foyers des séismes de mai 2012.

On voit très bien que la plaine du Po, très plate, correspond au remplissage sédimentaire sub-actuel d'une zone subsidente très dissymétrique, les zones les plus subsidentes se trouvant juste au Nord des principaux chevauchements apenniniques. On a là typiquement ce qu'on appelle un bassin flexural (anciennement appelé bassin mollassique). Sous le poids des nappes apenniniques s'avançant vers le Nord, le substratum austro-alpin est fléchi (réponse isostatique à une surcharge) et subside fortement. La subsidence s'accompagne en même temps d'une forte sédimentation, ce qui fait que la dépression ainsi créée ne s'enfonce pas sous le niveau de la mer, comblée en même temps qu'elle se forme. Cette carte montre très bien que la plaine du Po est à relier à l'Apennin, et en aucun cas aux Alpes. L'équivalent alpin de cette plaine du Po, le bassin flexural des Alpes, c'est le bassin molassique suisse (qui se continue en Bavière), et qui, heureusement, n'est quasiment plus actif ni sismique.

Le trait AB correspond au tracé (approximatif) de la coupe de la figure ci-dessous.

Source : Pieri et Groppi, 1981 ; Castellarin et Vai, 1986, repris dans Les Grandes Structures Géologiques (Dunod 2008), modifié.


Coupe SSO-NNE à travers les Apennins et la plaine du Po, contexte tectonique des séismes de mai 2012

Figure 10. Coupe SSO-NNE à travers les Apennins et la plaine du Po, contexte tectonique des séismes de mai 2012

Les séismes ont eu lieu sur une faille inverse dite masquée car recouverte par des sédiments quaternaires et sans manifestations visibles en surface (terrain plat, très cultivé).

Ce schéma met également bien en évidence la relation entre la subsidence de la plaine du Po et les chevauchements apenniniques.

Source Carminati, E., C. Doglioni, D. Scrocca, 2003. Apennines subduction-related subsidence of Venice (Italy), Geophys. Res. Lett., 30(13), 1717, modifié


Profil de sismique réflexion à travers les chevauchements apenniniques, dans un autre secteur que celui des séismes de mai 2012, mais dans un contexte géodynamique semblable

Figure 11. Profil de sismique réflexion à travers les chevauchements apenniniques, dans un autre secteur que celui des séismes de mai 2012, mais dans un contexte géodynamique semblable

Ol = Oligocène, M = Miocène, Pl = Pliocène, Quat. = Quaternaire, i, m et s = inférieur, moyen et supérieur.

L'échelle verticale est en temps double. On voit très bien les failles inverses affectant le Pliocène et flexurant le Quaternaire au-dessus d'elles. Les séismes de mai 2012 ont dû se produire dans un contexte semblable à celui pointé par l'étoile rouge.

Source : A.W. Bally, Am. Ass. Petr. Geol., 1983, repris dans Les Grandes Structures Géologiques (Dunod 2008), modifié.


Des scientifiques sur place

Trois chercheurs du CEREGE (CNRS, Univ Aix Marseille, IRD, Collège de France), de l'IPGS (CNRS, EOST-Univ. Strasbourg) et de l'IPGP (CNRS, Univ. Denis Diderot) sont allés sur place pour une mission géologique post-sismique.

Voici leur rapide compte-rendu et quelques photos qui n'ont pas d'autre prétention que d'être une rapide information avant des études plus approfondies.

Ces sismologues ont sillonné les zones où les chevauchements identifiés en sismique pourraient émerger en produisant des ruptures en surface, mais l'absence d'escarpements topographiques cumulés et la platitude du terrain aménagé pour l'agriculture a rendu l'observation difficile. Des prospections complémentaires à l'aide de la télédétection et/ou de la géophysique apporterons rapidement d'autres informations.

En ce qui concerne les dégâts, ils ont pu constater qu'ils sont localisés sur une zone d'environ 25 km de direction WNW-ESE et 8-10 km dans la direction NNE-SSW, centrés sur la zone épicentrale, et estimer que à partir des destructions observées que l'intenisté maximale est d'environ VII. Les destructions affectent essentiellement des bâtisses anciennes ou des hangars, des usines dont les toits se sont effondrés.

Les observations de déformations de la surface sont des fissures plus ou moins ouvertes accompagnées de liquéfaction avec des sorties de boues sableuses qui ont envahi certaines rues, des maisons et des champs. Ces fissures se suivent sur 3-4 km entre Sant'Agostino et Mirabello avec des ouvertures qui peuvent aller jusqu'à 30-50 cm de largeur, parfois profondes de 2-3 m et avec des rejets verticaux maximum de 30-40 cm.

Rappelons, ici, que des sédiments argilo-sableux imbibés d'eau peuvent subir un phénomène de thixotropie lors d'un séisme (comme quand on tapote le sable humide d'une plage) et sortir à la surface sous forme de "geyser". Les photographies suivantes nous montrent fissures et dépôts de boues sableuses plus ou moins importants.


Fissures, conséquences du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

Figure 13. Fissures, conséquences du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

La bordure grisâtre de la fissure du second plan est de la boue sableuse éjectée ici en petite quantité.


Une fissure, conséquence du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

Figure 14. Une fissure, conséquence du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

La fissure a émis de la boue sableuse par endroits.


Fissures dans un champ, conséquences du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

Figure 15. Fissures dans un champ, conséquences du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

De la boue grisâtre, émise par la fissure du centre de la photo, s'est répandue sur quelques mètres.


Fissures dans un champ, conséquences du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

Figure 16. Fissures dans un champ, conséquences du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

Larges fissures et dépôt de boue sableuse grisâtre atteignant localement une dizaine de centimètres de hauteur.


Une fissure, conséquence du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

Figure 17. Une fissure, conséquence du séisme du 20 mai 2012, près de Mirabello (Italie)

La quantité de boue sableuse émise est telle que la boue recouvre l'herbe et forme un monticule. L'asymétrie du dépôt pourrait indiquer un rejet vertical avec écoulement préférentiel de la boue sableuse vers le "bloc bas"... ou une légère pente initiale sur ce terrain.




Les études de terrain sont venues compléter les travaux antérieurs.

Carte sismo-tectonique Apennins - plaine du Po

Figure 20. Carte sismo-tectonique Apennins - plaine du Po

Les contours d'égale intensité sismique des principaux séismes historiques sont reporté.

Les failles actives observables en surface (Emergent) sont en trait plein rouge, en tiretés si elles ne sont que "supposées" ou "déduites des observations" (Inferred), alors que les nombreuses failles actives cachées (Blind = aveugles) sont en blanc.

Les étoiles rouges localisent les épicentres des deux séismes de mai 2012 et la faille cachée active supposée est indiquée en rouge et blanc.

Source : L. Benedetti, P. Tapponnier, Y. Gaudemer, I. Manighetti, J. Van der Woerd. 2003. Geomorphic evidence for an emergent active thrust along the edge of the Po Plain: The Broni-Stradella fault, J. of Geophys. Res., 108, B5, 2238, mis à jour par L.B.