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Article | 27/05/2009

Le séisme de Lambesc du 11 juin 1909 : contexte géologique et structural du dernier "gros" séisme de France métropolitaine

27/05/2009

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre, ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Le tremblement de terre provençal de 1909 à Lambesc, dernier "gros" séisme de France métropolitaine (46 morts, Bouches-du-Rhône), 100 ans après.


Couverture du Petit Journal relatant le séisme de Lambesc du 11 juin 1909

Figure 1. Couverture du Petit Journal relatant le séisme de Lambesc du 11 juin 1909

Le 11 juin 2009, on pourra se rappeler ce séisme centenaire.


Il y a cent ans, le 11 juin 1909 vers 21h15, eut lieu le dernier tremblement de terre très meurtrier en France métropolitaine. Ce séisme se produisit au Nord des Bouches-du-Rhône, à 20 km au NO d'Aix en Provence. Il fit 46 morts et au moins 250 blessés. Plusieurs milliers de logements ont été détruits ou endommagés gravement (dont 1500 à Aix-en Provence). Le village de Lambesc fut entièrement détruit. Rappelons que la dernière victime pour cause de séisme en France métropolitaine est morte en 1967, lors du séisme dit d'Arette (Pyrénées Atlantiques) où une vieille dame mourut.

À l'occasion de ce centième anniversaire, cet article de compilation résume rapidement ce que l'on sait de ce séisme, appelé séisme de Lambesc, ou encore de Rognes-Lambesc, et surtout de son contexte géologique et structural. Cette compilation utilise principalement des travaux de l'Université d'Aix-Marseille 3 (Université Paul Cézanne) et de l'IPGP, plus d'autres organismes… Les sources sont indiquées pour chaque figure ou citation.

Les dégâts

Le séisme de Lambesc de 1909 est le plus important séisme survenu en France depuis longtemps. Son intensité maximale est estimée à IX sur l'échelle MSK (10 sur l'échelle de Mercalli utilisée à l'époque), ce qui correspond à des dommages généralisés aux constructions. Il fit 46 morts et des centaines de blessés. Sa magnitude est estimée à 6,2 sur l'échelle de Richter. Rappelons que le séisme de L'Aquila d'avril 2009 en Italie centrale qui fit 246 morts avait une magnitude de 6,3.

Un rapport décrivant précisément ces dégâts (note sur le tremblement de terre de Provence du 11 juin 1909, par M. le commandant Spiess, membre de la Société Géologique de France) est disponible sur le site du réseau sismique de l'Université de Marseille 3. On peut notamment y lire « Les communes les plus éprouvées : Lambesc, Saint-Cannat, Rognes, Puy-Sainte-Réparade, Venelles, Aix (partie Nord), la Barben-Pélissanne sont situées dans la dépression comprise entre le massif des Côtes et les collines de la Fare, ainsi que dans la chaîne de la Trévaresse qui, après le Miocène, est venue barrer la partie orientale de cette dépression. La ville de Salon, où les dommages ont été également très sérieux, se trouve á l'issue Ouest de cette région déprimée ».

Cent ans après, il existe encore de nombreuses photographies de ces destructions, dont certaines ont donné lieu à l'époque à l'édition de cartes postales, dont on retrouve plusieurs exemplaires sur le web.

Carte postale d'époque montrant des dégâts à Rognes (juin 1909)

Figure 2. Carte postale d'époque montrant des dégâts à Rognes (juin 1909)

Dégâts liés au séisme de Lambesc, 11 juin 1909.

Source de l'image : Plan Séisme


Carte postale d'époque montrant des dégâts à Rognes (juin 1909)

Figure 3. Carte postale d'époque montrant des dégâts à Rognes (juin 1909)

Dégâts liés au séisme de Lambesc, 11 juin 1909.

Source de l'image : Académie de Nice


Carte postale d'époque montrant des dégâts à Lambesc (juin 1909)

Figure 4. Carte postale d'époque montrant des dégâts à Lambesc (juin 1909)

Dégâts liés au séisme de Lambesc, 11 juin 1909.

Source de l'image : Réseau sismologique des Alpes


Carte postale d'époque montrant des dégâts à Salon de Provence (juin 1909)

Figure 5. Carte postale d'époque montrant des dégâts à Salon de Provence (juin 1909)

Dégâts liés au séisme de Lambesc, 11 juin 1909.

Source de l'image : Académie de Nice


Une étude a été menée sous la direction du Ministère de l'Environnement en 1982. Cette étude consistait à effectuer une simulation d'impact d'un séisme équivalent à celui de 1909 qui aurait eu lieu en 1982 au même endroit, mais avec le plan d'occupation des sols de 1982. Cette simulation se justifiait par le fait que, statistiquement, un séisme d'une telle ampleur se produit en moyenne une fois par siècle en France métropolitaine. Cette simulation visait à déterminer toutes les conséquences de cette catastrophe virtuelle, aussi bien sur le plan humain que sur le plan matériel et économique. Cette région d'une superficie de 700 km2, regroupait 22 communes et 100.000 habitants en 1982. Les conclusions de cette étude sont présentées dans le tableau ci-dessous.

Comparaison des dégâts 1909 et des dégâts prévisibles simulés en 1982 dans la région de Lambesc

Figure 6. Comparaison des dégâts 1909 et des dégâts prévisibles simulés en 1982 dans la région de Lambesc

D'après Le risque sismique, Délégation aux Risques Majeurs, Ministère de l'environnement, 1982.

Il s'agit des dégâts correspondant à la situation économique de 1982, mais les sommes (indiquées en francs, valeur de 1982 sur le document original, ont été modifiées en tenant compte (approximativement) de l'inflation entre 1982 et 2009, et en les convertissant en euros. Cette simulation montre que les dégâts dus à ce séisme représenteraient 0,7% du budget de l'état et 600% du budget de la région P.A.C.A. en 1982, et ceci pour un tremblement de terre somme toute mineur, touchant une région relativement peu urbanisée et industrialisée. La très forte croissance économique de la région entre 1982 et aujourd'hui fait que les dégâts humains et matériels seraient beaucoup plus élevés aujourd'hui.


Les études sismologiques

Les dégâts observés permettent de bien estimer l'intensité de ce séisme : elle a atteint 9 à 10 sur l'échelle MSK, anciennement échelle de Mercalli (échelles graduées de 1 à 12). Ce séisme fut suffisamment important pour être enregistré par une trentaine de stations sismologiques en France et en Europe, bien qu'ayant eu lieu en 1909. Cela a permis de montrer qu'il s'agissait d'un séisme superficiel (profondeur du foyer < 10 km), d'une magnitude estimée à 6,2. Pour comparaison, rappelons que le séisme de L'Aquila du 6 avril 2009 dans les Abruzzes, qui fit 246 morts, avait une magnitude voisine de 6,3.

L'abondance des témoignages recueillis et des études sur place a permis d'établir des cartes isosismiques.

Position (sur image satellite) des zones de dégâts ayant permis d'établir des cartes d'isoséistes pour le séisme de Lambesc de juin 1909

Figure 7. Position (sur image satellite) des zones de dégâts ayant permis d'établir des cartes d'isoséistes pour le séisme de Lambesc de juin 1909

Il s'agit de la compilation de différentes sources, d'où la complexité/variété de forme/taille des figurés. Les intensités MSK représentées vont de 9 (couleur rouge) à 6 (couleur bleue).

Source de l'image : IPGP, Lacassin et al. 2001.C.R.Acad.Sc., numéro spécial Failles et Séismes, 2001 série II, tome 333, p 571-581


Carte des isoséistes du tremblement de terre de Lambesc de juin 1909

Figure 8. Carte des isoséistes du tremblement de terre de Lambesc de juin 1909

Les chiffres romains rouges indiquent l'intensité (échelle de Mercalli, celle utilisée à l'époque).

Cette carte montre que de nombreuses grandes agglomérations actuelles (Salon de Provence, Aix en Provence…) subiraient de très sérieux dégâts si un tel séisme se reproduisait aujourd'hui.

Source de l'image : Réseau sismologique de Provence


La note du commandant Spiess (disponible sur le site du réseau sismique de l'Université de Marseille 3) indique aussi ce qui est maintenant "classique", l'influence du substratum sur l'ampleur des dégâts : « On remarque également que ce sont les localités bâties sur les terrains tertiaires et quaternaires qui ont le plus souffert ; celles établies sur les terrains secondaires ont été en général beaucoup moins atteintes. D'une manière générale, les édifices construits sur des roches solides, telles que les calcaires compacts, ont beaucoup mieux résisté que ceux reposant sur des terrains moins consistants ».

Le contexte géologique et tectonique du séisme de Lambesc

Le contexte géologique et tectonique de cette partie de la Provence est relativement simple. La région est constituée de terrains mésozoïques ayant subi l'orogenèse pyrénéo-provençale (raccourcissement N-S avec formation de plis E-O, accompagnés de chevauchements, avec un maximum des déformations à l'Eocène). L'ensemble est recouvert en discordance par des terrains continentaux et marins de l'Oligocène et du Miocène. Ces terrains sont eux-mêmes impliqués dans une tectonique plicative et/ou chevauchante modérée mais réelle ; par exemple, les célèbres chaînons du Lubéron chevauchent le Miocène situé juste au Sud.

La géologie des environs du séisme telle que la représente les cartes géologiques 1/50.000 du BRGM (Salon de Provence et Pertuis) est assez simple : terrains oligocènes et miocènes relativement peu déformés présentant des pendages non nuls (mais faibles, et non indiqués sur les cartes géologiques, et localement forts au voisinage des failles) en discordance sur le Mésozoïque. La seule faille cartée notable (susceptible d'être à l'origine du séisme de 1909) est connue sous le nom de la faille de la Trévaresse, au Sud du chaînon du même nom, faille qui met en contact de l'Oligocène (au Nord) et du Miocène (au Sud). Observer ou localiser en détail cette faille est difficile en raison des mauvaises conditions d'affleurement. Cette faille correspond à un dénivelé ; mais ce dénivelé topographique pourrait correspondre autant à une érosion différentielle plus faible au Nord (calcaire) qu'au Sud (sables et marnes) qu'à la manifestation de mouvements récents. La preuve de la difficulté de la localisation précise de cette faille est la non-continuité des tracés de la faille dessinés à la limite des cartes 1/50.000 de Salon de Provence et du Pertuis (cf. montage des cartes ci-dessous).

Une "curiosité" géologique de la région se trouve dans la zone affectée par le séisme, bien que n'ayant aucun rapport avec ce séisme : le volcan de Beaulieu, l'une des principales manifestations du très (trop !) méconnu volcanisme miocène de Provence.

Montage des cartes géologiques des lieux où l'intensité du séisme de Lambesc de 1909 fut maximale

Figure 9. Montage des cartes géologiques des lieux où l'intensité du séisme de Lambesc de 1909 fut maximale

Le Jurassique est figuré en bleu, le Crétacé en vert plus ou moins brun, l'Oligocène en rose, orange et saumon, et le Miocène en jaune. Le volcan basaltique de Beaulieu est figuré en bleu foncé, au centre Nord de la carte. La position (approximative) de l'épicentre du séisme de Lambesc de 1909 est localisée par le cercle rouge.

La seule faille notable (susceptible d'être à l'origine du séisme de 1909) est connue sous le nom de la faille de la Trévaresse et a été surlignée en noir. Elle met en contact de l'Oligocène (au Nord) et du Miocène (au Sud). Carter précisément cette faille est suffisamment difficile pour qu'il n'y ait pas une bonne continuité de la faille entre la carte de Salon de Provence (à l'Ouest) et celle de Pertuis (à l'Est). Cette non-continuité se voit très bien au centre de la figure, où la limite entre les deux cartes se note aussi dans les changements de couleurs.


Gros plan sur la partie orientale de la faille de la Trévaresse (au centre des images), en vue oblique avec carte géologique

Figure 10. Gros plan sur la partie orientale de la faille de la Trévaresse (au centre des images), en vue oblique avec carte géologique

On voit très bien sur l'image satellite les mauvaises conditions d'affleurement. Cette faille correspond à une limite culture/forêt, et à un dénivelé topographique, dont l'origine pourrait être double : (1) remontée tectonique différentielle récente du compartiment Nord, et/ou (2) résistance à l'érosion plus grande des calcaires oligocènes de la Trévaresse (g3) que des marnes et sables miocènes (m3).


La région des Bouches-du-Rhône, comme tout le Sud de la France, est une région de tectonique récente (et active) et de sismicité modérée, mais non nulle. La figure suivante localise les principaux séismes régionaux historiques, les mécanismes au foyer quand ceux-ci ont pu être établis, et les zones de déformations quaternaires (failles, axes de plis, zones de soulèvement…). Tout cela montre que la région subit actuellement un raccourcissement Nord-Sud et/ou une élongation Est-Ouest.

Carte des objets et événements tectoniques quaternaires de Provence

Figure 11. Carte des objets et événements tectoniques quaternaires de Provence

Sont représentées sur fond d'image satellite : (1) les zones en soulèvement (teintes plus foncées), (2) les failles et axes de plis, (3) la localisation des épicentres historiques, dont celui de Lambesc en 1909, (4) les mécanismes au foyer (FN = faille normale et FI = faille inverse).

La région semble subir un raccourcissement N-S et/ou une élongation E-O, se traduisant par des failles inverses et des axes de plis E-O, des failles normales N-S, des décrochements dextres SO-NE.

Source de l'image : IPGP, Lacassin et al. 2001.C.R.Acad.Sc., numéro spécial Failles et Séismes, 2001 série II, tome 333, p 571-581


À la recherche de la faille active responsable du séisme de 1909

Les sismologues de l'époque n'ont pas décrit de mouvements traduisant le jeu superficiel d'une faille. Aucun nouveau petit escarpement ou miroir visible n'ont été identifiés.

La note du commandant Spiess (disponible sur le site du réseau sismique de l'Université de Marseille 3) indique : « il résulte des observations faites qu'en dehors des affaissements tout á fait locaux, survenus dans quelques terrains peu consistants et dans les remblais, notamment dans ceux des voies de communication, il ne s'est produit nulle part de dénivellation permanente du sol, soit par exhaussement ou affaissement de terrain, soit par production de failles. Si des failles ont rejoué ce ne peut être qu'en profondeur, car elles n'ont laissé aucune trace visible á la surface du sol. La répétition des nivellements de précision antérieurement exécutés dans la région, effectuée par le Service du Nivellement général de la France, a d'ailleurs montré que dans l'ensemble le sol de la Provence n'avait subi du fait du séisme aucun changement appréciable d'altitude ».

La figure suivante montre à quoi ressemblent les manifestations superficielles du jeu sismique d'une faille, manifestations absentes à Lambesc.

Exemples de manifestations de surface lors de séismes importants et récents en Nouvelle Zélande et Arménie

Figure 12. Exemples de manifestations de surface lors de séismes importants et récents en Nouvelle Zélande et Arménie

Manifestations dues aux mouvements de la faille responsable du séisme, quand ceux-ci atteignent la surface.

Sur l'image de gauche, on ne voit qu'un nouvel escarpement métrique survenu lors du séisme d'Edgcumbe (Nouvelle Zélande) en 1987. Dans ce cas, on ne voit pas le miroir proprement dit, mais seulement le dénivelé d'environ 1 m et la dislocation du sol à l'aplomb de la faille cause de ce dénivelé acquis pendant la durée du séisme. Sur l'image de droite, et c'est beaucoup plus exceptionnel (quasi absence de sol), on voit le miroir de faille proprement dit et le décalage métrique qui s'est fait pendant le séisme de 1988 à Spitak (Arménie).

Aucune manifestation de ce type, même de faible ampleur, n'a été décrite après le séisme de Lambesc en 1909.


Les témoignages de l'époque montrent que (1) soit de tels mouvements superficiels n'ont pas eu lieu et que les mouvements à l'origine du séisme de 1909 n'ont eu lieu qu'en profondeur, (2) soit ces mouvements superficiels étaient trop faibles et avaient eu lieu dans des sites trop peu accessibles pour avoir été repérés à l'époque. Il est à noter que la nouvelle ligne du TGV Méditerranée passe à 4 km à l'Ouest de Lambesc. Les mesures ultra-précises de nivellement faites à cette occasion permettront de bien localiser la faille après son futur rejeu.

En l'absence de manifestation de surface, savoir quelle faille a joué lors du séisme de 1909, en particulier si c'était la faille de la Trévaresse ou une autre faille moins visible, a été un véritable "jeu de piste".

1er Indice : la forme allongée des isoséistes.

Les isoséistes délimitent des zones allongées, orientées ONO-ESE, ce qui suggère que la faille responsable du séisme ait cette orientation. Or, cette orientation est celle de la faille de la Trévaresse.

2ème Indice : une rupture de pente et un scarplet dans la zone de la faille de la Trévaresse.

Les lignes isoséistes entourent la chaîne de la Trévaresse, bombement anticlinal post-Miocène long de 15 km. Une pente raide, haute de plusieurs dizaines de mètres, marque le flanc Sud de ce pli. À sa base, un escarpement plus raide, avec, localement une "marche d'escalier" fraîche (un scarplet frais) faisant face au Sud, pourrait correspondre à l'émergence en surface de ruptures co-sismiques successives. La dernière de ces ruptures aurait pu se produire en 1909 mais aurait été trop faible pour être remarquée par les observateurs de l'époque. L'ensemble de ces données morphologiques permettent de proposer que le séisme de 1909 ait réactivé une faille à pendage Nord située sous l'anticlinal de la Trévaresse, au voisinage du tracé cartographique de la Faille de la Trévaresse.

Série de profils topographiques détaillés sur le versant Sud de la montagne de la Trévaresse

Figure 13. Série de profils topographiques détaillés sur le versant Sud de la montagne de la Trévaresse

Ce sont les profils A et B de la zone 3 qui sont le plus parlant. L'allure générale du versant est un plan incliné vers le Sud, ou plus précisément de 2 plans identiquement inclinés séparés par un scarplet (marche d'escalier) d'une quinzaine de mètres de dénivelé. Ce scarplet pourrait correspondre à l'émergence en surface de ruptures co-sismiques successives, dont la dernière aurait eu lieu en 1909.

D'après l'image : IPGP, Lacassin et al. 2001.C.R.Acad.Sc., numéro spécial Failles et Séismes, 2001 série II, tome 333, p 571-581, modifié


3ème Indice et quasi-preuve : les études en tranchées paléo-sismologiques.

Quand aucun affleurement naturel ne permet d'étudier en détail ce qui se passe sur le tracé d'une faille (ou d'une supposée faille), on effectue une ou des tranchées qui permettent d'identifier des petits décalages de terrains masqués par le sol, de remarquer des variations d'épaisseurs de sédiments (ou d'éboulis) montrant un jeu syn-sédimentaire de la faille, de trouver des niveaux "datables" (par exemple des paléosols riches en matière organique datables par la méthode 14C) pour estimer des vitesses moyennes des déformations...

Les études précédant le creusement de la tranchée ne doivent pas se contenter d'étudier quelques mètres de part et d'autre de la faille majeure supposée, car souvent des failles annexes se « greffent » sur la faille majeure et peuvent affleurer à quelques dizaines ou centaines de mètres de la faille principale. Après des études poussées de topographie, géophysique… de détail, les équipes de sismologie de Marseille et de Grenoble (coordonnées par Dominique Chardon, du CEREGE ont proposé que deux failles annexes se raccordent à la branche principale de la faille de la Trévaresse, et que c'était l'une d'elle (la faille de l'Ermitage) qui avait probablement rejoué lors des séismes les plus récents, dont celui de 1909. Ils ont fait effectuer une tranchée perpendiculaire au tracé supposé de la faille de l'Ermitage, située à 400 m au Nord de la branche principale de faille de la Trévaresse. Cette tranchée de 50 m de long permet de voir que cette faille de l'Ermitage correspond en fait à quatres mini-failles. Et dans trois ce ces quatre mini-failles, des terrains d'âge tortonien (Miocène supérieur datant de –11 à –6 Ma) chevauchent des terrains datant du Quaternaire récent (cône alluvial). Le secteur de la faille de la Trévaresse est bien une zone de faille active !

Schéma interprétatif de la zone de faille de la Trévaresse

Figure 14. Schéma interprétatif de la zone de faille de la Trévaresse

(A) Schéma d'ensemble. Sur la branche principale de la faille de la Trévaresse (TF) se branchent deux failles secondaires : la faille de La Fauchonne (FF) et la faille de l'Ermitage (EF). C'est au niveau de cette faille de l'Ermitage qu'a été creusée une tranchée de paléo-sismologie. (B) Schéma interprétatif des résultats de la tranchée de paléo-sismologie. Trois mini-failles (3A, 3B et 3C) font chevaucher le Miocène supérieur (Tortonien) sur des dépôts alluviaux récents. C'est au niveau de la faille 3A que ce chevauchement (à vergence Sud) a le plus d'ampleur. La figure suivante détaille cette zone 3A.


Vue générale et schéma interprétatif de la tranchée paléo-sismologique creusée en travers de la faille de l'Ermitage

Figure 15. Vue générale et schéma interprétatif de la tranchée paléo-sismologique creusée en travers de la faille de l'Ermitage

Tranchée correspondant à la mini-faille 3A de la figure précédente.

Dans la paroi gauche de la tranchée visible sur la photo (celle dont le schéma interprétatif est figuré à droite), on voit bien une discontinuité séparant un compartiment supérieur jaune clair d'un compartiment inférieur plus roux. Le compartiment supérieur est constitué de Tortonien (Miocène), le compartiment inférieur de Quaternaire supérieur. Des observations détaillées montrent qu'il n'y a pas une faille unique, mais un ensemble de petites failles anastomosées. Le décalage d'une croûte pédologie (calcrète) actuelle ou subactuelle montre l'âge extrêmement récent du dernier mouvement superficiel. Mais on n'a pas la preuve absolue que le dernier mouvement en surface date de 1909. Il aurait fallu trouver tout en haut, sous le chevauchement, un objet récent, mais antérieur à 1909 (tessons de poterie ou de bouteille, pièce de monnaie…).


Olivier Bellier du CEREGE déclare dans une interview à Futura Sciences en 2007 : « Une tranchée de paléo-sismologie de 50 m de long creusée au travers de cette faille a enfin révélé la rupture associée au séisme provençal de 1909. [...] La succession et la datation des dépôts récents au front de déformation (c'est-à-dire au pied de la faille) révélée par la tranchée témoigne de l'histoire sismique de cette faille au cours des derniers 300.000 ans. Cette dernière aurait subi entre trois et sept événements sismiques de magnitude supérieur ou égale à 6, c'est-à-dire de l'ordre de grandeur de celui de 1909. L'enquête approfondie menée dans la tranchée a permis également de déterminer la vitesse moyennée de glissement de la faille. Elle est de l'ordre de 0,1 millimètre par an, ce qui reste une vitesse très faible même si cette faille peut générer des gros séismes. Il faut rappeler que les failles dites rapides ont des vitesses de l'ordre du centimètre par an voire plus et peuvent produire des séismes de magnitudes 7 à 8. [...] C'est la vitesse des failles qui définit la récurrence c'est-à-dire le temps de retour des séismes majeurs. Aux vitesses déterminées pour la faille de la Trévaresse correspondrait une récurrence de l'ordre de plusieurs milliers d'années, pour des séismes équivalents à celui de 1909 ».

On peut utiliser les chiffres donnés par Olivier Bellier pour faire de petits calculs. Si on estime que le dernier mouvement de la faille lors du séisme a été de 30 cm (300 mm), qu'il est représentatif des séismes sur cette faille et qu'il n'y a pas de mouvement sans séisme (le mouvement d'une faille sans séisme est appelé creep) un déplacement moyen de 0,1 mm/an correspondrait donc à une récurrence moyenne d'un séisme tout les 3000 ans. Ce petit calcul montre l'importance des recherches paléo-sismologiques, en particulier sur l'ampleur des mouvements ayant lieu à chaque séisme et sur la vitesse moyenne le long d'une faille, pour connaître la fréquence de ces séismes et en tirer des conclusions quand aux risques sismiques.

L'influence régionale du raccourcissement à l'origine du séisme de 1909

La faille inverse de la Trévaresse, et le léger anticlinal associé juste au Nord, n'est pas la seule zone tectoniquement active de la région. Des études tectoniques montrent que d'autres failles et/ou bombements anticlinaux actifs ont joué au Quaternaire, en particulier l'anticlinal et la faille chevauchante des Costes, l'Est des Alpilles… Ces mouvements ont tendance à entraîner une surrection de la rive Sud de la Durance.

Jusqu'à il y a quelques dizaines de milliers d'années, la Durance ne se jetait pas dans le Rhône au niveau d'Avignon comme maintenant, mais dans la mer Méditerranée au niveau de la plaine "caillouteuse" de la Crau, qui correspond à l'ancien delta de la Durance. On y retrouve en effet des galets faits de roches caractéristiques du bassin versant de la Durance, dont les fameuses "variolites" du Chenaillet. Des mouvements de surrection au Sud et/ou d'affaissement au Nord ont entraîné une « déviation » de la Durance vers le Nord-Ouest. Il est très vraisemblable que les mouvements de surrection de la rive Sud de la Durance (auxquels participent les jeux de la faille de la Trévaresse) ont un rôle majeur dans cette modification de l'hydrographie régionale.

Modifications du réseau hydrographique en Provence au Quaternaire récent

Figure 16. Modifications du réseau hydrographique en Provence au Quaternaire récent

La Durance actuelle se jette dans le Rhône juste au Sud d'Avignon (traits bleus continus). Jusqu'au Quaternaire récent, elle obliquait vers le Sud par le seuil de Lamanon, en suivant le tracé en pointillé bleu : elle passait à l'Ouest de Salon de Provence et se jetait dans la mer Méditerranée au niveau de la plaine de la Crau, son ancien delta. La surrection de la rive Sud de la Durance tout au long du Quaternaire a participé à son détournement vers le Nord-Ouest.

Les figurés rouges montrent la faille active (en particulier lors du séisme de 1909) de la Trévaresse et du bombement anticlinal associé ; les figurés verts montrent la faille active des Costes et le bombement anticlinal associé ; les figurés jaunes montrent le bombement quaternaire des Alpilles.


Synthèse finale

La figure suivante résume la géologie de l'Ouest provençal, et en particulier localise les chevauchements actifs (ou récents), les axes anticlinaux actifs (ou récents), le paléo-tracé de la Durance, l'épicentre du séisme de 1909... Cette figure montre aussi une coupe N-S à travers la faille de la Trévaresse, coupe qui propose que cette faille active soit une émergence de rampe. Selon cette interprétation, la surface de glissement basal de la rampe avant l'émergence correspondrait soit au Trias supérieur, soit au Crétacé basal.

Carte et coupe géologiques et tectoniques synthétiques résumant le contexte du séisme de Lambesc (1909)

Figure 17. Carte et coupe géologiques et tectoniques synthétiques résumant le contexte du séisme de Lambesc (1909)

La coupe correspond au tracé Nord-Sud AB. Selon cette interprétation, la faille active de la Trévaresse correspond à l'émergence d'une rampe. Un futur petit Lubéron !

D'après l'image : IPGP, Lacassin et al. 2001.C.R.Acad.Sc., numéro spécial Failes et Séismes, 2001 série II, tome 333, p 571-581, modifié


À l'occasion du centenaire de ce séisme, a été édité un livre « Séismes de Provence », dont l'auteur est Estelle Bonnet-Vidal, enseignante et membre du groupe Édusismo-Provence, en collaboration avec Olivier Bellier, professeur de géologie à l'université Paul Cézanne, Aix-MArseille. Prenant pour thème principal le séisme de Lambesc de 1909, il pose également des questions sur l'évolution des normes et de la prévention au cours du siècle, proposant de nombreux encarts scientifiques et techniques.

Séismes en Provence - Du tremblement de terre de 1909 à la Provence sismique d'aujourd'hui, par Estelle Bonnet-Vidal, 2009, Format : 22 x 22, 96 pages, broché, ISBN : 978-2-912366-79-5, EAN : 9782912366795, éditions Campanile.