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Article | 24/03/2004

Une leçon de sédimentologie martienne

24/03/2004

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Emmanuelle Cecchi

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

La présence, sur Mars, de sédiments évaporitiques et de figures sédimentaires particulières (stratifications obliques) sont les témoins d'une ancienne mer (ou lac) salée selon la NASA.


Le 23 mars 2004 au soir, la NASA a annoncé (une fois de plus) à grand renfort de communiqué médiatique qu'il y avait eu « une mer (ou un lac) salée » sur Mars. Elle justifiait ce résultat par la présence des « sédiments évaporitiques » et par l'observation de « figures sédimentaires ». En ce qui concerne les sédiments évaporitiques, il s'agissait donc d'une fausse vraie nouvelle, que Planet-Terre donnait depuis trois semaines, notamment en relayant les annonces officielles de la NASA. Voir par exemple l'article de début mars évoquant évaporites et eau sur Mars.

Par contre, la NASA n'avait que peu communiqué sur les figures sédimentaires ; elle se contentait de parler de stratifications obliques, sans trop rentrer dans les détails. Dans ses Press Release images du 23 mars 2004, la NASA communique et surtout commente largement de magnifiques photographies (qui datent également d'environ trois semaines). Grâce à ces figures sédimentaires et à la présence d'évaporites, elle fait des commentaires du genre : « l'étude sédimentologique permet de préciser le milieu de dépôt de ces sédiments riches en évaporites : milieu plat, sous de l'eau salée peu profonde, avec des courants variables au gré des vents et des courants, parfois soumis à l'évaporation et s'asséchant, et ressemblant à un bord de mer (ou de lac salé) ». Ce même commentaire précise que la NASA a trouvé des chlorures dans ces roches, qui associés aux sulfates confirment bien (s'il en était besoin) la « présence d'évaporites et de roches salines ». Ce commentaire conclut : « The particular type of rock Opportunity is finding, with evaporite sediments from standing water, offers excellent capability for preserving evidence of any biochemical or biological material that may have been in the water. Someday we must collect these rocks and bring them back to terrestrial laboratories to read their records for clues to the biological potential of Mars ».

Voyons deux de ces magnifiques images et leurs interprétations.

Stratifications entrecroisées sur la roche martienne nommée Upper Dells, avec interprétation

Figure 1. Stratifications entrecroisées sur la roche martienne nommée Upper Dells, avec interprétation

(a) Portion de Upper Dells"montrant de fines strates (lamines) tronquées et discordantes : stratifications entrecroisées.

(b) Interprétation de la photographie (a) : les lignes noires surlignent les laminations obliques qui peuvent indiquer un dépôt des sédiments sous un courant d'eau. Les lignes bleues indiquent les limites entre des groupements possibles de lamines obliques. Les stratifications entrecroisées peuvent être formées lorsqu'un courant induit la formation de rides dans les sédiments du fond puis leur migration.


Stratifications entrecroisées sur la roche martienne nommée Last Chance, avec interprétation

Figure 2. Stratifications entrecroisées sur la roche martienne nommée Last Chance, avec interprétation

(a) Portion de la roche "Last Chance" montrant une structure interne au dépôt interprétée comme des stratifications entrecroisées.

(b) Interprétation de la photographie (a) : les lignes noires surlignent les laminations obliques. Les lignes bleues indiquent les limites entre des groupements possibles de lamines obliques. L'inclinaison des lamines de la partie centrale de la photographie suggère que le courant à l'origine de ces lamines se déplaçait de la gauche vers la droite.


Il s'agit là de magnifiques exemples de stratifications obliques, voire entrecroisées, différentes des stratifications obliques éoliennes disent les sédimentologues de la NASA. Ces sédiments se sont donc bien déposés dans un milieu aquatique avec des courants variables dans le temps, donc vraisemblablement peu profond. On peut comparer avec des structures équivalentes terrestres. Nous vous montrons ici des stratifications obliques dans du Crétacé terminal des Corbières (11), s'étant déposé dans un environnement de delta lacustre. La figure 3a montre un détail de morphologie et de dimension assez semblable à la figure 2. La figure 3b est une vue élargie du même affleurement.


La NASA publie aussi d'autres images, dont la figure 4a et l'interprétation de leurs sédimentologues (figure 4b).

Observation de 3 unités stratigraphiques dans la région nommée Slickrock, avec interprétation

Figure 4. Observation de 3 unités stratigraphiques dans la région nommée Slickrock, avec interprétation

(a) Image brute. (b) Interprétation de l'image. Les lignes bleues symbolisent les limites entre ces 3 unités. Les unités inférieures et supérieures montrent des structures suggérant des rides ou des déformations ayant eu lieu lorsque le sédiment n'était pas encore consolidé. Des lamines fines et parallèles prédominent dans l'unité centrale, elles ont pu être formées par des rides dues au vent. Les lettres correspondent au commentaires suivants : A est un bel exemple de stratification oblique, avec troncature (la strate du haut biseaute et recouvre la strate du bas) ; B semble une déformation, un bombement fait dans le sédiment meuble (glissement-slumping) ; C représente des ondulations (ripple) ; D est une surface érodée, ou une ondulation en creux.


Une belle leçon de sédimentologie de terrain ! Quel dommage qu'on ne puisse pas échantillonner, faire des lames minces, des analyses précises… Une mission avec retour d'échantillons s'impose de plus en plus, en attendant que des géologues aillent sur place. Maintenant, Opportunity a quitté le cratère Eagle. En se retournant, il a pris une photographie.

Vue panoramique du cratère Eagle

Opportunity se dirige vers le cratère Endurance, où nous espérons voir une coupe de plus de 10-20 m d' épaisseur dans ces sédiments. Nous saurons alors (peut-être) si ces conditions de dépôts ont été relativement brèves (dépôt mince) ou longue (dépôt épais).

Et puis cette étendue d'eau à cet endroit là pose un problème. En effet, le site de Meridiani planum se trouve à au moins 2000 m au-dessus des basses plaines de l'hémisphère Nord, là où l'on envisage de mettre un océan (voir l'article sur l'eau sur Mars). Cela plaide donc plutôt pour un lac d'altitude... ou une mer avec une épaisseur d'eau plus importante que dans nos rêves les plus fous.


Suite dans quelques jours...

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