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Article | 17/11/2003

Résurgences d'eau douce en Méditerranée

17/11/2003

Michel Bakalowicz

UMR 5569 Hydrosciences, Montpellier

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les résurgence sous-marine d'eau douce : observation, origine, exploitation.


D'après l'article Une manne sortie des eaux paru dans Le Journal du CNRS, n°164-165 septembre-octobre 2003.

Au milieu de l'étang de Thau, près de Sète, des chercheurs étudient les résurgences d'eau douce (voir Fig.1). Ces dernières sont assez nombreuses sur le pourtour méditerranéen et existent partout dans le monde où des régions calcaires bordent la côte (Golfe du Mexique, Irlande, Madagascar, Australie, Vietnam, Nouvelle-Zélande...).


Comment ces résurgences d'eau douce ont-elles été détectées ?

Les sources sous-marines sont pour la plupart connues depuis longtemps des pêcheurs et marins. La mer change d'aspect dans leur voisinage, à cause des différences de densité entre eau douce et eau de mer, et aussi à cause des variations de leur débit. Si les chercheurs essaient de développer un automate sous-marin, c'est plus pour aller faire des mesures et les répéter que pour détecter de nouvelles sources. Les mesures pourront servir à évaluer le débit et la qualité de l'eau de ces sources ( Voir le projet PANACHE, conception et industrialisation d'une chaîne d'instrumentation pour l'identification et l'évaluation des panaches d'émergences karstiques sous-marines) sur le site du Réseau de recherche et d'innovation technologique « Eau & technologies de l'environnement » (Riteau) et le site Hytec associé au développement de l'engin sous-marin.

Comment expliquer l'existence de conduits localisés sous le niveau de la mer ?

Leur origine est relativement facile à déterminer, car elles sont situées assez près des côtes, à faible profondeur (entre 0 et 50 m). Elles sont toutes associées à des massifs carbonatés qui dominent les côtes. Dans les terrains calcaires, l'eau d'infiltration chargée en dioxyde de carbone dissout la roche et cet écoulement aboutit à la formation d'un réseau souterrain de conduits (réseau karstique). Ce réseau souterrain se met en place en se basant sur le niveau le plus bas des calcaires dans le paysage : c'est le niveau de base où apparaît la source. Dans le cas de ces sources d'eau douce en mer, l'eau douce circule donc dans l'aquifère karstique littoral, emprunte des conduits situés sous le niveau de la mer et ressort en profondeur.

Les glaciations du Quaternaire (début à -1,75 Ma - fin à -10 ka ;) ont provoqué des abaissements de l'ordre de 100 à 150 m du niveau marin ; le plus important fut au cours de la dernière glaciation, le Würm (entre -80 et -10 ka), avec un niveau bas vers -120 m vers -20 ka. Des réseaux karstiques ont pu se développer sur ce niveau bas, mais seulement dans les régions où le climat n'était pas trop froid et permettait l'écoulement des eaux (régions méditerranéennes chaudes et régions tropicales). Ailleurs, le gel empêchait l'infiltration et donc les écoulements souterrains. On connaît des grottes avec des stalagmites, maintenant noyées dans les Grandes Antilles (Porto Rico, Cuba, République Dominicaine, Jamaïque).

En Méditerranée, il s'est produit un phénomène extraordinaire, au Messinien, (-5,5 Ma, fin du Miocène). Le détroit de Gibraltar, sous la poussée de l'Afrique, s'est refermé (n°365 de La Recherche, consacré à la Terre). Comme en Méditerranée, l'évaporation l'emporte largement sur les apports d'eau douce par les fleuves, le niveau de la mer, ne recevant plus l'eau de l'Atlantique, s'est abaissé très vite de plus de 1.000 m. Ainsi, dans la région d'Avignon, le Rhône coulait environ 800 m sous son niveau actuel. Toutes les rivières avaient creusé des gorges très profondes qui ont ensuite été remplies de sédiments détritiques, surtout des argiles et des limons, après la remontée de la mer, environ 500.000 ans plus tard. Les conduits du karst s'étaient développés jusqu'au niveau les plus bas des calcaires (voir Fig. 2, les affleurements calcaires autour de la Méditerranée). Une fois l'eau remontée, les galeries se sont retrouvées sous le niveau marin, certaines ont été bouchées par les sédiments, d'autres sont restées béantes.


Comment l'eau douce peut-elle surgir en surface ?

Ces sources d'eau douce en mer ne peuvent exister que si la charge d'eau douce dans l'aquifère est suffisamment élevée pour pousser la colonne d'eau de mer, plus dense. Par exemple, pour une source sous-marine située à 30 m sous le niveau marin, à l'équilibre entre l'eau douce et l'eau de mer, c'est-à-dire sans écoulement, il faut que les deux colonnes aient la même masse (avec, Masse = Hauteur x Section x Densité).

La densité de l'eau de mer est 1,03, alors que celle de l'eau douce est 1. Pour que les deux colonnes, de même section, s'équilibrent, la hauteur de la colonne d'eau douce doit donc être supérieure à la "Hauteur x 1,031" pour que se produise un écoulement d'eau douce sous la mer, soit, pour une profondeur de 30 m, une colonne de 30,93 m d'eau douce, soit une charge de +0,93 m de l'aquifère au-dessus du niveau marin. Par conséquent, pour qu'existent des charges suffisantes pour vaincre la masse d'eau de mer, la source doit être alimentée par des écoulements dans des reliefs assez marqués dominant la côte.

Une éventuelle exploitation de ces sources d'eau douce est-elle envisageable ?

Précisément, l'exploitation des ressources d'eau douce dans tous les aquifères littoraux doit impérativement se faire sans perturber le système. En effet, toute perturbation risque de faire entrer profondément l'eau de mer dans l'aquifère. En général, l'eau de mer occupe une partie de l'aquifère près du littoral, en fonction de la charge d'eau douce, de l'alimentation de l'aquifère (la recharge) et de la perméabilité. Toute modification importante, par des prélèvements massifs ou mal répartis, rompt l'équilibre et provoque une intrusion saline.

Dans le cas de l'exploitation des aquifères karstiques littoraux, c'est encore plus difficile, du fait de l'existence de conduits parfois largement ouverts qui laissent pénétrer l'eau de mer très facilement. Le procédé de captage expérimental mis en place par la société Nymphéa Water a pour but de tester les conditions d'isolement de la source pour en récupérer l'eau douce sans faire pénétrer l'eau salée. Une autre méthode est d'implanter des forages à terre, dans lesquels les débits de pompage sont faibles ; mais les forages donnent des résultats trop aléatoires et présentent trop de risques de salinisation pour être utilisés systématiquement. Dans tous les cas une surveillance en continu de la salinité de l'eau prélevée est indispensable pour éviter la salinisation.

Pour en savoir plus

GUIDE TECHNIQUE N°3, Connaissance et gestion des ressources en eaux souterraines dans les régions karstiques (pdf)

Portail commun à trois sites sur le karst (Karst Commission of the International Association of Hydrogeologists ; The Commission on Karst Hydrogeology and Speleogenesis of the Union International of Speleology ; Commission « Sustainable Development & Management of Karst Terrains » of the International Geographical Union)

Eau France, le portail de l'eau

Le Service d'Administration Nationale des Données et Référentiels sur l'Eau (Sandre)

Système d'Information sur l'Eau (SIE) du bassin Rhône-Méditerranée

Cartes « eaux souterraines » de l'atlas territorial