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Article | 18/06/2004

Prisme d'accrétion dans les Alpes

18/06/2004

Stéphane Schwartz

Lirigm, Univ. Joseph Fourier, Grenoble

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Définition et mise en évidence d'un prisme d'accrétion dans les Alpes.


Question

« N'y aurait-il pas des traces de prisme d'accrétion dans les Alpes, ce qui serait un indice supplémentaire d'une paléozone de subduction. »

Réponse

Que faut-il entendre par prisme d'accrétion ?

La notion de prisme d'accrétion provient initialement de la géologie marine et désigne l'« accumulation de matériel sédimentaire à l'avant d'une zone de subduction », on parle alors plus précisément de « prisme d'accrétion océanique ». Il s'agit d'une structure tectonique générée par l'imbrication d'écailles sédimentaires. Cet écaillage est lié à l'existence d'un butoir rigide qui racle sur les sédiments pélagiques plus meubles de la croûte océanique en cours de subduction. Ce butoir localisé au-dessus de la croûte océanique subduite correspond soit à de la marge, soit à de la croûte océanique, soit à un ancien prisme.

Coupe schématique d'une zone de subduction au niveau d'une marge active présentant un prisme d'accrétion océanique

Figure 1. Coupe schématique d'une zone de subduction au niveau d'une marge active présentant un prisme d'accrétion océanique

Le prisme se forme par accumulation de sédiments pélagiques qui sont raclés par l'intermédiaire d'un butoir rigide

On peut observer deux ensembles au sein du prisme d'accrétion : (A)- partie superficielle du prisme formée par accrétion frontale, (B)- partie profonde du prisme formée par sous-placage de matériel pélagique.


Au cours de la subduction le stockage de matériel sédimentaire peut se faire à différentes profondeurs. Dans les conditions de sub-surface (milliers de mètres), l'accumulation de matériel se fait par accrétion frontale d'écailles sédimentaires aboutissant à la formation d'un prisme superficiel (prisme d'accrétion océanique au sens strict). Des sédiments encore solidaires de la croûte océanique sont entraînés à plus grande profondeur (dizaine de kilomètres) et viennent progressivement alimenter par sous-placage la partie profonde du prisme (figure 1).

Il existe différentes géométries de prisme d'accrétion océanique. Ces géométries sont contrôlées par différents facteurs comme la forme du butoir rigide, la quantité de matériel sédimentaire, ou l'angle du plan de subduction (figure 2).

Coupes schématiques de trois marges présentant différentes géométries de prisme d'accrétion océanique

Figure 2. Coupes schématiques de trois marges présentant différentes géométries de prisme d'accrétion océanique

La forme générale du prisme est contrôlée par différents facteurs comme la géométrie du butoir, la quantité de matériel sédimentaire et l'angle de la subduction.


Dans certains cas le prisme d'accrétion peut atteindre des dimensions respectables, c'est-à-dire d'échelle crustale (20-40 km d'épaisseur) comme pour le prisme d'accrétion observé actuellement au sud de l'île de Vancouver (figure 3). Ce prisme est lié à la subduction vers l'Est de la plaque océanique Juan de Fuca sous la plaque Amérique du Nord (fosse des Cascades). Les conditions thermiques modélisées dans le prisme se révèlent être faibles (figure 3) avec des températures inférieures à 450°C en base de prisme. De telles conditions P-T sont symptomatiques des conditions du faciès des schistes bleus, voire des éclogites pour des édifices plus importants. Les sédiments ainsi que des fragments de croûte océanique entraînés par la subduction, vont être progressivement métamorphisés au cours de l'enfouissement, puis vont venir alimenter par sous-placage la partie basale du prisme.

Il ressort ainsi que les prismes d'accrétion sont des sites géodynamiques particuliers qui permettent d'expliquer la genèse de certaines roches de haute pression et de basse température (HP/BT).

Exemple de prisme d'accrétion actuel

Figure 3. Exemple de prisme d'accrétion actuel

La subduction vers l'Est de la plaque océanique Juan de Fuca sous la plaque Amérique du Nord permet de générer un prisme d'accrétion sédimentaire de grande dimension. La structure thermique est également présentée. Elle est superposée à une coupe structurale de la zone. Les conditions P-T rencontrées dans la partie basale du prisme sont typiques des conditions métamorphiques du faciès des schistes bleus (étoile).


Le fonctionnement des prismes d'accrétion permet, comme nous venons de le voir, d'expliquer la genèse de certaines roches métamorphiques de haute pression mais il permet également d'expliquer l'exhumation de ces mêmes roches de HP/BT (figure 4). Ainsi pour Platt (1986), le sous-placage, au cours du temps, de matériel sédimentaire produit un épaississement important du prisme générant progressivement son soulèvement, accommodé en surface par de l'extension puis de l'érosion. Dans un tel modèle, le moteur de l'exhumation semble être le couple extension/érosion.

D'autres auteurs comme Cloos (1982), Allemand et Lardeaux (1997), proposent un mécanisme de corner flow ou « coin de convection ». Il s'agit de la création d'un courant de retour dans un matériel de faible viscosité coincé entre deux plaques dans une zone de subduction. Enfin, un dernier modèle favorise le rôle des forces de flottabilité comme moteur de l'exhumation (Chemenda et al., 1995). Ce modèle est basé sur des différences de densité entre le matériel HP/BT accrété à la base du prisme et son encaissant. Il se forme des écailles successives de grande dimension. Le prisme est alors constitué par l'accumulation d'écailles sous-charriées (figure 4).


Où peut-on trouver un prisme d'accrétion dans les Alpes ?

Les Alpes sont installées sur la limite entre les plaques Eurasie et Afrique et témoignent de la convergence de ces plaques, en particulier au Crétacé-Cénozoïque. Plus précisément, c'est le promontoire Nord de la plaque Afrique (Apulie), qui est impliqué dans la convergence avec l'Europe. La chaîne occupe l'emplacement d'un océan et de ses marges passives, développées alors que les mêmes plaques divergeaient, au Mésozoïque. L'essentiel de l'océan, la Téthys alpine ou océan liguro-piémontais, a disparu par subduction. Il n'en reste que quelques témoins, les ophiolites et leurs couvertures sédimentaires, les Schistes Lustrés (figure 5). Ces deux ensembles lithologiques constituent la zone liguro-piémontaise. Il apparaît clairement que seuls les Schistes Lustrés peuvent représenter un paléo-prisme d'accrétion sédimentaire au sens strict (sédimentaire). Quels sont les arguments ?

Carte et coupe géologique de la partie sud des Alpes occidentales

Figure 5. Carte et coupe géologique de la partie sud des Alpes occidentales

La zone liguro-piémontaise est constituée par deux ensembles juxtaposés. La partie la plus occidentale est à dominante sédimentaire et correspond aux unités de Schistes Lustrés qui peuvent être assimilées à un paléo-prisme d'accrétion. Ces unités reposent sur des unités ophiolitiques (Mont Viso).


Arguments sédimentaires et structuraux

Le domaine des Schistes Lustrés se caractérise par d'abondants volumes de sédiments océaniques correspondant à des calcschistes qui emballent quelques fragments de lithosphère océanique (figure 5 et 6). La complexité structurale apparente des Schistes Lustrés tient en premier lieu au changement de sédimentation au cours du temps qui se traduit, dès le Jurassique, par le dépôt d'unités à ophiolites dissociées, suivi par le dépôt de calcschistes monotones au Crétacé inférieur et qui se termine par le dépôt d'unité à olistolites et mélange tectonique au Crétacé supérieur. Cette série reste cependant idéale car elle n'affleure jamais sur le terrain sous cette forme, mais est affectée par de nombreux événements tectoniques syn- à post-sédimentation qui accentuent la complexité de l'édifice.

Les masses ophiolitiques lorsqu'elles sont présentes, sont constituées de serpentinites, de métagabbros et de prasinites complètement dissociées et dilacérées, il n'existe plus de vrai plancher océanique (figures 5 et 6). Ce démembrement incombe à l'écaillage de la lithosphère océanique lors de la subduction.

Le domaine des Schistes Lustrés correspond donc à l'accumulation d'importants volumes de matériel sédimentaire associé à des reliques de croûte océanique. L'ensemble présente une structuration complexe où l'on peut néanmoins reconnaître différentes unités superposées.

Carte des conditions métamorphiques dans les Schistes lustrés d'après l'observation de différents assemblages minéralogiques au sein des lithologies basiques

Figure 6. Carte des conditions métamorphiques dans les Schistes lustrés d'après l'observation de différents assemblages minéralogiques au sein des lithologies basiques

Les conditions de P-T évoluent d'Ouest en Est depuis les conditions du faciès des schistes bleus de basse température jusqu'à la transition éclogite / schistes bleus.


Arguments métamorphiques

Les différentes unités des Schistes lustrés piémontais montrent systématiquement des paragenèses de HP-BT. On observe dans les métasédiments la présence de chloritoïde ou de carpholite, tandis que dans les lithologies plus basiques on observe l'occurrence de lawsonite, zoisite, glaucophane et parfois d'omphacite.

Les conditions métamorphiques évoluent d'ouest en est, depuis les conditions du faciès des schistes bleus de basse température (8 kbar - 300°C) pour les unités les plus à l'ouest jusque à la transition éclogite-schistes bleus (13 kbar - 450°) pour les unités les plus à l'est (figure 6).

Les Schistes lustrés des Alpes occidentales représentent donc un paléo-prisme d'accrétion. Ce prisme dont la dimension ne va cesser d'augmenter au cours du temps, du fait du retrait de la plaque plongeante subduite, est constitué par du matériel provenant du rabotage progressif des sédiments déposés sur le plancher océanique. A l'avant du prisme va se constituer un empilement précoce d'écailles sédimentaires essentiellement constituées de matériel pélagique et d'une petite fraction dérivée de la croûte océanique. Progressivement l'alimentation du prisme va se faire par sous-placage en continu de roches sédimentaires métamorphiques qui auront été enfouies à des profondeurs de plus en plus importante le long du plan de subduction. Ce phénomène en continu permet d'expliquer l'évolution progressive des conditions P-T observées au sein des Schistes Lustrés.

L'observation d'un paléo-prisme d'accrétion comme celui des Schistes lustrés, signe donc la présence d'une paléo-zone de subduction, en l'occurrence celle liée à la fermeture de l'océan liguro-piémontais débuté au Crétacé. Cependant il existe d'autres indices à l'échelle des Alpes comme par exemple :

  • l'enregistrement de phénomène d'obduction, comme en témoigne l'absence d'assemblage minéralogique de haute pression au sein de l'ophiolite du Chenaillet ;
  • la présence de roches magmatiques calco-alcalines (cf zone Sesia) ;
  • la répartition de la sismicité actuelle à travers l'arc alpin qui souligne le plan de subduction de la plaque européenne sous la plaque Apulienne (figure 7).
Carte de localisation des séismes après inversion 3D sur une carte structurale simplifiée et sur coupe ouest-est.

Figure 7.  Carte de localisation des séismes après inversion 3D sur une carte structurale simplifiée et sur coupe ouest-est.

La sismicité dessine le plan de subduction de la lithosphère européenne sous la plaque apulienne (modifié d'après Paul et al., 2001).


Bibliographie