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Article | 15/07/2002

Ancêtre commun et cladogramme

15/07/2002

Cyril Langlois

Laboratoire Paléoenvironnements & Paléobiosphère, Univ. Claude Bernard Lyon 1

Guillaume Lecointre

Laboratoire d'Ichtyologie Générale et Appliquée, Muséum National d'Histoire Naturelle

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Problème de la représentation dans un cladogramme : position des ancêtres communs et des innovations évolutives, proximité entre espèces (groupes).


Question

« J'ai deux interrogations concernant les phylogenèses. »

  1. « J'ai cru comprendre que l'ancêtre commun était le premier à posséder l'innovation évolutive, alors pourquoi place-t-on dans la plupart des cladogrammes présentés dans les bouquins l'innovation avant l'ancêtre commun ? »
  2. « Dans un arbre comme celui ci-dessous, le thon a-t-il une parenté plus étroite avec la lamproie qui présente une innovation de moins ou le cœlacanthe qui en présente une de plus ? »

Questions posées par C. M. le 13 septembre 2002, par courrier électronique.

Réponse

En résumé.

  1. L'ancêtre commun est le plus récent ancêtre commun à deux espèces. Par conséquent, il possède en effet une innovation évolutive. Cependant, il faut bien voir que cette notion d'ancêtre commun est avant tout théorique... Ce n'est pas parce qu'une innovation évolutive arrive que, forcément, différentes espèces vont se différencier immédiatement. En effet, cette nouvelle espèce va évoluer, et, progressivement, au cours du temps, aboutir à 2 espèces distinctes. Ainsi, il y a d'abord apparition d'un nouveau caractère, conduisant ensuite à une espèce donnée. Puis, du fait de l'apparition de nouvelles innovations, d'autres espèces apparaissent. Ainsi, l'innovation évolutive précède forcément l'ancêtre commun, puisqu'elle permet l'apparition de celui-ci.
  2. En ce qui concerne les liens de parenté entre le Thon et le Cœlacanthe, tous deux font partis d'un même groupe monophylétique, puisqu'ils ont un ancêtre commun. La Lamproie est, elle, extérieure à ce groupe. On peut donc considérer que le Thon est plus proche du Cœlacanthe. Ces deux "poissons" sont des gnathostomes (poissons à mâchoires), alors que la Lamproie est un agnathe.

Différence entre arbre phylogénétique et phylogenèse

Il faut bien comprendre que les arbres phylogénétiques, basés sur l'analyse cladistique, appelés alors aussi cladogrammes, ne sont pas, au départ, des représentations temporelles. Autrement dit, ils ne montrent pas l'apparition des caractères en fonction du temps. Ce ne sont que des « classifications hiérarchiques de la répartition des caractères dérivés partagés ».Quand on les "transcrits" en fonction du temps, il deviennent des phylogenèses, mais il faut alors y inclure les fossiles, et les "vrais" ancêtres communs restent inconnus, virtuels.

La figure donnée est un arbre phylogénétique, un cladogramme, mais pas une phylogenèse. L'arbre phylogénétique groupe les organismes selon les caractères dérivés (= les nouveautés évolutives, les états de caractères nouveaux) qu'ils partagent.

État de l'ancêtre commun

Pour ce qui est de l'état de l'ancêtre commun, il faut distinguer deux types d'innovations.

  • Les innovations de type "caractère dérivé propre" qui sont présentes chez un seul groupe, (une seule espèce par exemple), et qui par conséquent les caractérisent : ce sont les caractères dérivés propres (ou autapomorphie).

    Sur l'arbre proposé, si l'on regarde le groupe (Babouin+Homme+Chat+Tortue+Aigle = les Amniotes), une autapomorphie sera la reproduction amniotique, l'acquisition de l'amnios (rectangle rouge). Comme ces autapomorphies sont spécifiques du groupe, elles sont présentes chez l'ancêtre commun à tous les Amniotes (rond orange), mais par contre, elles ne le sont pas chez l'ancêtre commun à ce groupe et à son plus proche parent connu (groupe-frère, ici le crapaud), représenté par le rond vert.

  • Les innovations de type caractère dérivé partagé. Ce sont celles qui sont partagées par le groupe et son groupe-frère, et qui sont donc les caractères dérivés partagés (ou synapomorphies).

    Sur l'exemple choisi, ce sera par exemple la respiration pulmonée, ou le membre chiridien des Tétrapodes. Celles-ci sont présentes chez l'ancêtre commun à ces deux groupes. Ces caractères devaient être présent chez l'ancêtre des Amphibiens (représenté par le crapaud) et des Amniotes (Reptiles+Oiseaux+Mammifères).

    Dans ce cas, on place souvent ces états de caractères sur l'arbre sous la forme d'une barre recouvrant les branches des deux groupes, pour bien montrer qu'il s'agit d'un caractère partagé. L'ancêtre commun est alors "sous la barre" pour des raisons uniquement graphiques (figure ci-dessus). On peut tout aussi bien placer ce symbole sur la branche qui arrive au nœud des Tétrapodes, comme sur la figure suivante.

    Par contre, si l'on « descend » dans l'arbre, on va comparer le nouveau groupe (Amphibiens+Amniotes = les Tétrapodes) à un nouveau groupe-frère. On peut dire aussi que, pour "enraciner l'arbre" des Tétrapodes, on va comparer ses représentants à ceux d'un "groupe externe", qui lui ne montre aucun des caractères particuliers qui font les Tétrapodes.

    Ici, le groupe externe est celui des Sarcoptérygiens, représenté par le Cœlacanthe. Cette fois-ci, l'ancêtre commun au Sarcoptérygiens et aux Tétrapodes (en bleu) n'a aucun des caractères dérivés des Tétrapodes. Il ne possède que les caractères "archaïques" qu'a aussi le Cœlacanthe. Cependant, si l'on descend une nouvelle fois, parmi ces caractères archaïques propres à l'ensemble (Sarcoptérygiens + Tétrapodes), il y en a qui sont complètement nouveaux, ou évolutivement modifiés, par rapport aux caractères des Actinoptérygiens que représente le Thon. Et ainsi de suite, au fur et à mesure que l'on descend l'arbre. En fait, à chaque "descente" d'un nœud, il faut "changer de point de vue", un peu comme si l'on changeait d'échelle. Quand on étudie les Amniotes, on compare aux Amphibiens ; si l'on descend d'un nœud, on ne compare plus les mêmes groupes, mais le niveau au-dessus, les Tétrapodes aux Sarcoptérygiens.

Parenté entre Thon, Cœlacanthe et Lamproie

Il est plus difficile de répondre à cette question, d'abord parce qu'il faut savoir ce que l'on veut dire par « avoir une parenté plus étroite avec ».

Ici, cela revient à se demander, pour caricaturer, si le Thon a plus de parenté avec son petit-cousin, le Cœlacanthe, qu'avec son oncle, la Lamproie. Sur le plan des caractères évolutifs et de la cladistique, le Thon est plus apparenté au Cœlacanthe parce qu'il partage avec lui plus de caractères "évolués", et qu'il a donc avec lui un ancêtre commun plus récent (le "père" des Actinoptérygiens (le Thon) et de l'ancêtre du groupe (Sarcoptérygiens + Tétrapodes)).

Pour être encore plus strict, on devrait dire que le Thon est plus proche du groupe [Cœlacanthe + Tétrapodes = les Vertébrés] que de la Lamproie, parce qu'il forme avec eux un groupe monophylétique, ou clade , c'est-à-dire un ensemble d'organismes qui partagent un même ancêtre commun.

Au contraire, Thon et Lamproie forment un assemblage paraphylétique, c'est-à-dire un groupement "incomplet", dont les animaux n'ont pas tous un même ancêtre commun : la Lamproie n'a pas pour ascendant l'ancêtre commun au Thon et aux Vertébrés.

Bibliographie utile

Vous tirerez sans doute profit d'un texte rédigé en collaboration avec des enseignants du primaire, et sa séance pédagogique attenante, dans le dernier chapitre de Graines de Sciences 4, Éditions Le Pommier, Septembre 2002, ISBN-13: 978-2746501027. Disponible sur commande dans toutes les librairies.