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Article | 26/01/2016

Une neuvième planète dans le système solaire ?

26/01/2016

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Patrick Thollot

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Arguments en faveur de l'existence d'une planète transneptunienne pour expliquer les orbites des objets connus de la ceinture de Kuiper.


Article mis à jour le 29 janvier 2016.

Une annonce à la sortie d'un article scientifique

Le 20 janvier 2016, la revue The Astronomical Journal a publié les travaux de deux astronomes américains, Konstantin Batygin et Michael E. Brown, intitulés Evidence for a distant giant planet in the solar system, dans lesquels ils exposent comment ils en viennent à proposer l'existence d'une planète géante lointaine dans notre système solaire, planète transneptunienne qui serait donc la neuvième (prenant la place de Pluton, rétrogradée à l'état de planète naine en 2006, cf. En août 2006, le système solaire est passé de 9 à 12 puis à 8 planètes, après que la découverte de Sedna, fin 2003, a relancé le débat, cf. Découverte d'une dixième planète, Sedna,... et remise en question de la définition d'une planète).

Cette information est aussitôt parue dans une brève du magazine Nature, Evidence grows for giant planet on fringes of Solar System et a été reprise par les médias, dont les médias français : radios France Inter, France Info..., télés FranceTV... ainsi que les journaux (et/ou leurs sites) Le Figaro (20/01), L'Express (21/01), Le Monde(23/01)...

Voyons rapidement les faits : observations, calculs, hypothèses plausibles et travaux à venir.

Le travail de Batygin et Brown

La découverte d'objets transneptuniens dans la ceinture de Kuiper (KBO = Kuiper Belt Objects) et leur orbites très elliptiques intriguent les astronomes car ces objets semblent "devoir" interagir avec d'autres corps que les planètes proches. Plusieurs hypothèses ont déjà été émises dont l'existence d'une planète X dont la masse, la distance au Soleil et l'excentricité adéquates posaient ensuite des problèmes pour en expliquer la présence du fait de sa nécessaire interaction avec les autres planètes au cours de l'histoire du système solaire.

Batygin et Brown ont voulu tester cette hypothèse en sélectionnant les corps permettant de déterminer les caractéristiques de cette hypothétique planète. Le but était de savoir si les contraintes cumulées permettaient ou non de proposer l'existence d'un corps majeur unique comme solution à la question des orbites des KBO connus.

Les auteurs ont d'abord recensé l'ensemble des corps connus dont l'orbite présentait un périhélie supérieur à 30 UA (1 unité astronomique = distance moyenne Terre-Soleil) afin de ne prendre en compte que les corps qui ne "passent" pas à l'intérieur de l'orbite de Neptune (planète située à 30 UA). Chaque orbite a été décrit par un vecteur caractéristique appelé vecteur de Runge-Lenz, dont la direction indique le périhélie lorsque son origine est placée "sur" le Soleil (qui est au foyer de l'orbite elliptique) et dont la norme est fonction, entre autres, de l'ellipticité de cet orbite.

Caractéristique d'une trajectoire elliptique

Figure 4. Caractéristique d'une trajectoire elliptique

Une ellipse est caractérisée par ses dimensions a et b, demi grand axe et demi petit axe. Ses foyers (ici seul un foyer, F, est représenté) sont à une distance c du centre, telle que c=a.e avec e l'excentricité (on a aussi e2.a2=a2-b2, et c=a.e).

Dans le cas d'un corps en orbite elliptique, le corps central est à un foyer de l'ellipse. Le périapse (noté pe sur la figure) est le point de la trajectoire leplus proche du foyer et l'apoapse (noté ap sur la figure) le plus éloigné (pour le Soleil, on parle de périhélie et d'aphélie).

Dans l'étude de Batygin et Brown, les trajectoires des KBO sont comparées grâce, entre autres à l'utilisation des vecteurs de Runge-Lenz (noté A sur la figure), qui pointent vers le périhélie lorsque leur origine est au foyer et donc la norme dépend, entre autre, de l'excentricité.


Les directions pointées par les corps observés ne présentent pas de direction privilégiée, montrant une distribution aléatoire compatible avec les processus d'interaction entre les planètes et les petits corps qui sont "chassés" de leurs orbites. Cependant, lorsqu'ils se limitent aux objets les plus éloignés (demi-grand axe supérieur à 250 UA) et les plus stables des autres (avec un demi-grand axe supérieur à 150 UA) ils observent, pour ces 8 corps, un regroupement des vecteurs (et donc des orbites) dans une faible portion de l'espace.

Il semble cependant que les biais de détection de ces corps éloignés (demi-grand axe supérieur à 250 UA) sont écartés un peu rapidement. Ainsi, les auteurs supposent que ces biais de détection sont les mêmes que ceux pour des corps moins éloignés (demi-grand axe "seulement" supérieur à 50 UA) qui, eux, se répartissent dans toutes les directions.

Or un raisonnement empirique d'astronome amateur suggère que ce n’est pas nécessairement le cas. La plupart des corps moins éloignés, avec des magnitudes entre 20 et 24, sont "relativement" lumineux et donc détectables relativement facilement (avec un "gros" télescope professionnel tout de même) sur une grande portion de leur orbite. C'est moins le cas pour les corps les plus éloignés, dont la magnitude varie de 20-24 à leur périhélie à plus de 32 à leur aphélie (cas de Sedna, par exemple, 60 000 fois moins lumineux à son aphélie qu'à son périhélie). Ces corps sont donc détectables seulement à leur périhélie, quand ils sont assez lumineux pour être visibles : ceux connus sont effectivement proches de leur périhélie. Cela n'explique certes pas qu'ils soient tous situés dans la même zone du ciel.

Mais il se trouve que cette zone est en direction du bord externe de notre galaxie, là où on trouve le moins d'étoiles. Il est très difficile de détecter des petits corps dans les autres directions car la ligne de visée rencontre alors tellement d'étoiles en arrière-plan que la lumière des petits corps est noyée dans celle des étoiles. Quand on a voulu trouver un deuxième petit corps à survoler pour la sonde New Horizons après son survol de Pluton, il a ainsi fallu utiliser le télescope spatial Hubble, seul assez puissant pour faire la part entre la lumière des petits corps ou des étoiles, car la zone où va passer la sonde se trouve en direction du centre galactique !

Il n'est donc pas impossible que la répartition apparemment groupée des petits corps aux orbites éloignées soit en partie due à un biais d’observation plus important que ce que les auteurs ne considèrent. D'après les auteurs, la probabilité que ces petits corps soient autant groupés par hasard est seulement de 0,007%, mais le raisonnement ci-dessus laisse penser que ce nombre est peut-être sous-estimé.

De plus, cette probabilité, apparement très faible, n'est pas forcément un argument décisif : les physiciens des particules ne s'autorisent à déclarer une particule découverte dans leurs observations que lorsque la probabilité d'obtenir les mêmes observations au hasard est inférieure à 0,00003 % (plus de 100 fois moins) !

Considérant donc, au-delà des réserves ci-dessus, que la répartition des petits corps les plus éloignés du système solaire n'était pas due au hasard, les auteurs ont alors recherché les caractéristiques nécessaires pour qu'une neuvième planète explique cet état des faits. Diverses simulations numériques tentent de reproduire au mieux la répartition actuelle des orbites des corps étudiés en partant d'une distribution aléatoire afin de tester l'effet d'un corps massif qui "ferait le ménage" sur son orbite (condition pour qu'un corps soit considéré comme une planète).

Étude des orbites des corps éloignés de la ceinture de Kuiper

Figure 5. Étude des orbites des corps éloignés de la ceinture de Kuiper

Le Soleil est le point central duquel partent les vecteurs de Runge-Lenz "normés" (scaled), c'est-à-dire que chaque vecteur est divisé par sa norme si bien que les vecteurs normés ont tous la même "longueur" unitaire. L'intérêt est ici de comparer la direction des grands axes et le sens des périhélies. Le petit "cercle" rouge est l'orbite de Neptune.

Le regroupement de ces vecteurs dans un petit secteur de l'espace est trop peu probable statistiquement pour ne pas refléter une cause dynamique commune comme, par exemple, la présence d'un corps massif qui "repousse" ses petits corps de son orbite.

Échelle, 250 AU = 250 unités astronomiques.


Cette neuvième planète aurait une masse de l'ordre de 10 fois la masse de la Terre avec un orbite excentrique (e~0,6) de demi grand axe de l'ordre de l'ordre de 700 UA (Neptune est à 30 UA et Pluton à 48 UA) avec un périhélie de plus de 100 UA et de direction opposée à la direction moyenne des corps de la ceinture de Kuiper étudiés dont le rapprochement est considéré comme une conséquence de l'existence de cette planète. Pour un demi grand axe de 700 UA, la période de révolution est donc de l'ordre de 18 500 a.

Orbite possible pour l'hypothétique neuvième planète du système solaire

Figure 6. Orbite possible pour l'hypothétique neuvième planète du système solaire

La neuvième planète doit avoir une masse de l'ordre de 10 masses terrestres, un demi grand axe de 700 UA et une excentricité de l'ordre de 0,6.


Une histoire qui se répète ?

Peu après la découverte d'Uranus en 1788, son orbite apparaissait non conforme aux modèles orbitaux connus, même en incluant les effets de Jupiter et Saturne. Il faudra attendre 1846 pour que Neptune soit observée après les calculs du Français Le Verrier et les observations des Prussiens Heinrich Louis d'Arrest et Johann Gottfried Galle.

Le même souci semblait affecter l'orbite de Neptune. À partir de calculs similaires à ceux utilisés pour découvrir Neptune, on cherche donc une planète transneptunienne. Des observations systématiques débutent en 1906, observations financées par le riche astronome Percival Lowell qui s'était fait construire un observatoire à Flagstaff (Arizona) pour, entre autres, étudier ce qu'il croyait être des canaux à la surface de Mars. Ces recherches aboutissent en 1930 à la découverte de Pluton par Clyde Tombaugh. Cependant, la découverte de Pluton tient plus du hasard que de la prédiction. En effet, on constate rapidement en estimant la masse de Pluton qu'elle est bien insuffisante pour expliquer les irrégularités supposées de l'orbite de Neptune. Surtout, on a découvert ensuite que ces irrégularités n'existaient pas et étaient en fait dues à des incertitudes d'observation ! Le petit Pluton était "par hasard" là où des calculs, fondés sur des données erronées, prédisaient la possibilité qu'il y ait une grosse planète !

Les calculs annoncés aujourd'hui seront peut-être le départ de recherches. Mais plusieurs obstacles se dressent.

Les objets connus de la ceinture de Kuiper, qui ont été à l'origine des estimations présentées, ont été découverts lors de leur passage près de leur périhélie car c'est alors qu'ils sont les plus proches de nous et surtout qu'ils sont les plus lumineux (car plus proches du Soleil). Si la neuvième planète est actuellement plutôt vers son aphélie, il faudra attendre 5000 à 10000 ans avant d'être dans des conditions plus confortables d'observation...

Dans un cas favorable les grands télescopes actuels et les nouveaux télescope qui vont entrer en fonction permettront peut-être de la détecter d'ici quelques années. Si une mission doit être montée, une sonde lancée... il faudra attendre plus de 50 ans avant une éventuelle rencontre vers le périhélie avec les technologies actuelles.

Mais, surtout, comme le soulignent les auteurs de l'étude, c'est par la découverte de nouveaux corps de la ceinture de Kuiper que des contraintes supplémentaires pourront être obtenues afin de restreindre la gamme des orbites possibles. En l'état actuel des connaissances et des hypothèses, trouver une planète si lointaine avec une si large gamme des possibles (orientation, excentricité, grand axe) relèverait plus du coup de chance que de la stratégie.

Gageons que les prochaines découvertes transneptuniennes relanceront le débat et les calculs.