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Article | 17/02/2006

Études minéralogiques, épaisseur et socle de la calotte polaire Nord de Mars, roches sédimentaires variées et beaux panoramas

17/02/2005

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Mars Express cartographie la répartition des sulfates et des argiles. Ses données radar permettent la mesure de l'épaisseur de la calotte glaciaire Nord et la découverte de réflecteurs profonds.Spirit observe différents types de roches, certaines bien stratifiées, d'autres ressemblant à des blocs de coulée de lave scoriacée, et des roches vacuolaires. Opportunity offre de beaux panoramas et découvrent des sédiments festonnés à rides symétriques.


Depuis notre dernier point sur les nouvelles martiennes, les annonces majeures ont ralenti. Mais il en arrive quand même, surtout depuis deux semaines et il est temps de faire le point.

Les nouvelles de Mars Express

Résultats du spectro-imageur

Les équipes de Mars express ont publié le 30 novembre 2005 deux nouvelles intéressantes concernant les minéraux hydratés sur Mars (sulfates et argiles).

Elles confirment la présence de sulfates. Sur l'image fausses couleurs de Candor Chasma, diverticule de Valles Marineris, le spectro-imageur a diagnostiqué de la kiesérite (sulfate de magnésium hydraté).

Image fausses couleurs de Candor Chasma

Figure 1. Image fausses couleurs de Candor Chasma

Les zones marquées avec les repères rouges sont riches en kiesérite.


Pour la première fois, l'ESA a publié images et cartes montrant particulièrement bien la répartition des argiles, dans la région de Marwth Vallis. Cette région est constituée de vieux terrains cratérisés, recoupés et/ou recouverts par une vallée de débâcle et par son delta. Les vieux terrains sont riches en argiles, ce qui suggère qu'ils ont longtemps été en contact avec de l'eau liquide, que cette argile est le résultat de l'altération in situ ou de dépôts sédimentaires.

Par contre, la vallée de débâcle et son delta, plus récents, ne contiennent pas (ou très peu d'argiles). L'érosion ayant créé cette vallée a déblayé les terrains argileux. Mais l'eau liquide n'est pas restée assez longtemps dans la vallée ou le delta pour refaire de nouveaux minéraux argileux.

On retrouve bien là ce qui est très fortement soupçonné depuis 1976 : l'histoire ancienne de Mars était humide, avec présence d'eau liquide pérenne, donc de température supérieure à 0°C. Puis l'eau liquide pérenne a disparu (refroidissement). Mais pendant cette période sèche parce que froide et qui dure encore, de l'eau liquide a encore occasionnellement coulé sous forme de vallées de débâcle, par exemple à la suite de phénomènes volcaniques faisant temporairement fondre le sol gelé.

Image 3D de Marwth Vallis

Figure 2. Image 3D de Marwth Vallis

Les taches bleues correspondent aux affleurements d'argile déterminés par le spectro-imageur.


Carte des affleurements d'argiles de la région de Marwth Vallis (25°N 340°E)

Figure 3. Carte des affleurements d'argiles de la région de Marwth Vallis (25°N 340°E)

Affleurements d'argiles en blanc sur la carte de gauche, en bleu sur celle de droite.

Les zones pointées en rouge ont fait l'objet d'analyses plus précises, confirmant la présence d'argiles sur les vieux plateaux et son absence au fond de la vallée et dans son delta.


Résultats du radar

Une des expériences les plus originales de Mars Express est l'utilisation d'un radar pour essayer de diagnostiquer la présence de glace dans le sous-sol de Mars, d'en estimer la quantité, et essayer de mesurer la profondeur de haut et du bas de cette éventuelle couche de glace. Éventuellement, si de l'eau liquide phréatique existe pas trop profondément, le radar pourra la trouver.

Les deux figures suivantes montrent la sonde avec ses antennes radar déployées et illustrent le principe des mesures.

L'ESA a communiqué deux résultats préliminaires : (1) la découverte de réflecteurs profonds, sans doute un ancien bassin d'impact recouvert de terrains plus récents et (2) la mesure de l'épaisseur de la calotte glaciaire Nord, qui serait d'environ 1 km sous le trajet de l'orbite.

Figure 6. Deux orbites de Mars Express et profils radar correspondants

À gauche, carte topographique sur laquelle sont reportées deux orbites de Mars Express. À droite, profils radar correspondant à ces deux orbites.

On devine, au centre de chaque profil ,des réflecteurs dessinant une "cuvette". Un ancien bassin d'impact ?


Figure 7. Carte topographique d'un bord de la calotte polaire martienne Nord et trajet d'une orbite de Mars Express (en bas) et profil radar correspondant (en haut)

On voit très bien la limite supérieure du socle rocheux se poursuivre sous la calotte de glace, dont le radar met le sommet en évidence. La calotte a 1 km d'épaisseur à l'aplomb de cette orbite.


Attendons la suite si le radar tient ses promesses !

Les nouvelles de Spirit

En janvier 2006, Spirit a fêté son deuxième anniversaire sur Mars (année terrestre). Deux ans (et 6.600 m) de bons et loyaux services alors que ce robot était prévu pour durer 3 mois (et 600 m).

En septembre, pour notre dernière chronique martienne, Spirit venait d'arriver au sommet des Columbia Hills. Les deux figures suivantes montrent, dans le paysage et en carte, le trajet suivi par Spirit pendant son ascension pour arriver au sommet, montée qui a duré plus d'un an.

Trajet de Spirit pour atteindre le sommet des Columbia Hills

Figure 8. Trajet de Spirit pour atteindre le sommet des Columbia Hills

Ces collines mesurent 100 m de hauteur (la cathédrale de Chartres donne l'échelle).



Au sommet, Spirit a bien sûr fait un panorama sur 360°. Nous avons publié en septembre 2005 des mosaïques "artisanales", la NASA n'en ayant pas encore publié à cette date. Depuis elle en bien sûr publié. Les figures suivantes correspondent à trois de ces panoramas du sommet.



Panorama pris du sommet des Columbia Hills en direction Sud

Figure 12. Panorama pris du sommet des Columbia Hills en direction Sud

Le site Home Plate (HP sur la figure) correspond à l'objectif vers lequel s'est dirigé Spirit de septembre à février et qu'il a atteint le 7 février 2006.


Vue rapprochée de Home Plate

Figure 13. Vue rapprochée de Home Plate

Home Plate mesure environ 80 m de diamètre. Le site BT servira de repère pour des figures suivantes.


Vue plus détaillée de Home Plate

Figure 14. Vue plus détaillée de Home Plate

Home Plate mesure environ 80 m de diamètre. Le site BT servira de repère pour des figures suivantes.


Une partie du paysage est particulièrement intrigante, et ressemble à une "assiette claire" posée sur le substratum (Home Plate, HP sur les figures). On pourrait interpréter cette structure comme le reste d'une couche (sédimentaire ?) plus dure et plus claire en forme de cuvette, et épargnée par l'érosion. Selon cette interprétation, la butte repérée par les lettres BT sur les figures serait un reste de cette couche dure, détachée par l'érosion du corps principal de cette couche. BT aurait la signification d'une butte témoin.

En attendant de descendre vers Home Plate, Spirit fait force études au sommet des collines. La NASA publie toujours chaque jour les photos brutes prises la veille, publie toutes les 1 à 3 semaines des revues de presse avec des commentaires, mais ne publie plus de résultats d'analyses chimiques ou minéralogiques. Nous sommes donc obligés de faire sans !

Roche du sommet des Columbia Hills

Figure 15. Roche du sommet des Columbia Hills

Image prise le 6 octobre 2005 (sol 625).



À partir de début novembre 2005, Spirit entame sa descente vers Home Plate. Ci-dessous, la carte de cette descente jusqu'au 2 février 2006, où il était à 60 m de bord de Home Plate. Ce 14 février, Spirit touche maintenant le bord Nord de Home Plate.


Sur son trajet de descente, Spirit voit des roches relativement bien stratifiées et un champ de dunes.

Roches relativement bien stratifiées

Figure 18. Roches relativement bien stratifiées

Image du 1er février 2006 (sol 680).


Champ de dunes

Figure 19. Champ de dunes

Images prises le 30 décembre 2005 et le 1er janvier 2006 (sols 708 et 710).


Le 12 janvier 2006, une fausse manœuvre a fait qu'une des roues de Spirit a accidentellement creusé une tranchée de 30 cm de large. Cette tranchée révèle un "sous-sol" anormalement blanc. De cet affleurement, la NASA fait des commentaires à l'usage des journalistes :« It has a powdery and cloddy texture and exhibits a high abundance of salts. (….) Spirit analyzed the bright, yellowish exposures in the lower left part of the frame using instruments on the rover's robotic arm. Scientists hypothesized and then confirmed that these materials have a salty chemistry dominated by iron-bearing sulfates. These salts may record the past presence of water, as they are most easily mobilized and concentrated in liquid solution ».

En un mot comme en cent, on "devine" la présence d'eau liquide passée, sans encore avoir découvert sur le site de Spirit les preuves sédimentaires indiscutables qu'on était allé y chercher (il peut exister des sulfates d'origine volcanique).


Le 23 janvier 2006, Spirit passe au pied de Lorre Ridge (voir trajet ci-dessus). Là, les blocs de roches ressemblent étonnement à des blocs d'une surface de coulée de lave scoriacée, avec une surface bulleuses recouvrant un cœur plus massif. Lorre Ridge serait-elle le reste d'une ancienne coulée ?

Gros plan sur des roches au pied de Lorre Ridge

Figure 21. Gros plan sur des roches au pied de Lorre Ridge

Ces blocs ressemblent à des fragments d'une surface de coulée de lave scoriacée.


Du 28 au 30 janvier 2006, Spirit roule au milieu de roches ayant une structure particulièrement bulleuse et vacuolaire. D'anciennes scories basaltiques ? Sans doute le vent exagère-t-il le caractère vacuolaire primaire de ces roches !


Une roche vacuolaire isolée

Figure 23. Une roche vacuolaire isolée

Cette roche mesure une dizaine de cm de longueur.


Gros plan d'une de ces roches vacuolaires

Figure 24. Gros plan d'une de ces roches vacuolaires

La photographie couvre un champ de 3 x 3 cm.


Au début février 2006, Spirit arrive enfin vers la mini-falaise bordière de Home Plate (voir vue générale du site). Même de 60 m de distance, on voit là une géologie tout à fait inhabituelle, inédite sur le site de Spirit. Le bord de Home Plate montre une stratification "jamais vue" depuis les 25 mois que dure la mission Spirit. Home Plate est stratifié et sa falaise bordière aurait la signification d'une cuesta.

En arrivant à Home Plate, 4 févier 2006

Figure 25. En arrivant à Home Plate, 4 févier 2006

La base de Home Plate occupe tout le centre de la mosaïque. On y devine, même à cette distance (60 m) une stratification remarquable. Pour se repérer avec la vue général prise du haut des collines, noter le piton noté BT. Ce piton semble recouvert d'une couche dure (de même nature que celles de Home plate ?).


En s'approchant, la stratification se révèle double : en bas, des strates espacées de quelques centimètres, alors que la partie supérieure est faite de strates si fines qu'on ne les distingue bien que de près.

La dualité de la stratification se voit très bien sur les figures prises le sol 746 (7 février) et sur le montage final, ci-dessous. Les strates du bas semblent constituées d'éléments assez grossiers. Elles ne sont pas sans rappeler les strates du cratère Endurance exploré par Opportunity ( fig. 5 des strates de Burns Cliff vue en janvier 2005).

Dans le montage montrant les stratifications basses et hautes, strates basses prises le 13 février 2005, on devine ce qui pourrait être interprété comme une figure de charge (chute d'un bloc volcanique, d'un bloc transporté par un torrent ?), voir l'image de la semaine Figures de charge.

Les strates du haut sont inédites sur Mars. Dans le montage, strates hautes prises le sol 748 (10 février), on voit un détail de cette stratification très fine. On y devine un biseau. D'après un examen rapide les strates terrestres ressemblant le plus à ces strates supérieures sont des strates éoliennes (voir par exemple celles de la mini-discordance dans des stratifications éoliennes ou les photographies de Snow Canyon (Utah) ou encore celles prises dans le parc national Zion de l'Utah.

Ce pourraient être aussi de fines couches de cendres volcanique remaniées par le vent, ou encore une sédimentation lacustre varvée.

Les deux figures suivantes sont des vues de face prises de 10 puis 5 m de distance. Les quatre figures d'après correspondent à quatre photos contigües prises d'Est en Ouest juste au bord de la falaise. La dernière est un montage de deux vues très rapprochées mettant en évidence la différences entres les couches inférieures et supérieures.

Le bord de Home Plate vu d'une dizaine de mètres de distance

Le bord de Home Plate vu de moins de 5 mètres de distance

Figure 27. Le bord de Home Plate vu de moins de 5 mètres de distance

La différence d'aspect entre les strates du bas (SB) et celles du haut (SH) se voit très bien.


Falaise aux pieds de Home Plate

Falaise aux pieds de Home Plate

Falaise aux pieds de Home Plate

Falaise aux pieds de Home Plate

Montage de 2 images rapprochées mettant en évidence la différence entre les strates supérieures et inférieures

Figure 32. Montage de 2 images rapprochées mettant en évidence la différence entre les strates supérieures et inférieures

La flèche rouge montre un biseau de stratification. La flèche bleue montre une possible figure de charge.


Des vues plus rapprochées au "microscope" (caméra ayant un champ de 3 x 3 cm), des analyses chimiques et minéralogiques vont-elles nous dire ce que sont ces deux types de strates ? Des cendres et pyroclastites volcaniques comme le suggèrent le contexte géologique régional et la possible figure de charge ? Des sédiments éoliens comme le suggère la morphologie des strates supérieures ? Des sédiments déposés sous l'eau comme le suggère la présence de sulfates à 300 m de là ?

Attendons la suite ! Mais quelle que soit la nature de ces strates, ce qu'on en voit (Home Plate et le piton BT) ne semble être que des restes épargnés par l'érosion d'une série stratifiée ayant initialement une extension beaucoup plus grande.

Les nouvelles d'Opportunity

Comme son jumeau Spirit, Opportunity est depuis 25 mois sur Mars (la durée initialement prévue de la mission était de 3 mois), et l'âge se fait sentir. Opportunity roule au milieu de dunes dans lesquelles il s'est déjà enlisé (voir les nouvelles de septembre 2005), il a des problèmes de roues et le bras manipulateur où sont installés les instruments d'analyses a des articulations grippées. Tout cela explique qu'Opportunity n'a que très peu progressé depuis 6 mois. Pourra-t-il atteindre le but ultime que se sont fixé les scientifiques de la NASA, le cratère Victoria, qui devrait permettre d'avoir une coupe de terrain sur plus de 50 m de haut ?


Fin août 2005, Spirit avait atteint les etched terrains au niveau d'un très vieux cratère bien ensablé, le cratère Erebus ; il y est encore.

Ces etched terrains, au voisinage d'Erebus, semblent être composés des mêmes roches sédimentaires déjà observées dans les cratères Eagle et Endurance en 2004 et 2005, à savoir très vraisemblablement des silicates (argiles ?) riches en sulfates et en myrtilles (composées d'oxyde de fer). On retrouve les vugs (vraisemblables pseudomorphoses de sulfates) et les myrtilles ont une plus grandes gammes de forme et de taille qu'auparavant. Ces etched terrains semblent partout affectés de ce réseau polygonal de fentes et fractures, qui semblent être des fentes de retrait (dessiccation ?) dont nous avons déjà discuté dans l'article de septembre 2005.

Voici 4 panoramas pris pendant sa très lente progression.



Panorama pris le 28 novembre 2005, sol 657

Figure 36. Panorama pris le 28 novembre 2005, sol 657

La zone encadrée en rouge est détaillée ci-dessous.


Zoom sur l'horizon du panorama précédent, sol 657

Figure 37. Zoom sur l'horizon du panorama précédent, sol 657

On voit une partie du pourtour du cratère Erebus au centre, un peu sous l'horizon.


La seule nouveauté digne d'être signalée correspond à des figures sédimentaires en forme de festons. Les fines lamines sédimentaires sont horizontales la plupart du temps. Elles présentent parfois des stratifications obliques indiquant un courant (cf. fig. 2 de Une leçon de sédimentologie martienne). Ici, elle dessinent des rides ondulées symétriques. Cela semble être la section de ripple marks.

Sédiments "festonnés" (flèche rouge), sol 690

Figure 38. Sédiments "festonnés" (flèche rouge), sol 690

Les myrtilles (3 mm de diamètre) donnent l'échelle. Ces festons ressemblent à des sections de ripple marks dus à un clapot dans une eau de quelques cm de profondeur (photo prise début janvier 2006).


Pendant ses longues stations immobiles, Opportunity en a profité pour faire de multiples photographies avec le maximum de résolution possible (caméra panoramique le plus près possible). Du 23 novembre au 5 décembre 2005, Opportunity a ainsi pris 635 images en 4 longueurs d'onde différentes. La NASA les a assemblées en une mosaïque qui couvre 360°, avec une résolution jamais atteinte, puisque la mosaïque définitive contient 74,4 MB.

Nous vous présentons une version dégradée de cette mosaïque (2.200 pixels de large pour seulement 213 kio). Si votre ordinateur et votre ligne internet le permettent, vous pouvez consulter la version non dégradée du panorama Erebus rim sur le site de la NASA (attention image de 22.700 pixels de large  pour 74,4 Mio!). Avec une telle résolution, des études de sédimentologie fine sont très faciles.


La NASA vient d'adopter une nouvelle stratégie de déplacement pour faire avancer le robot malgré ses problèmes de roues et d'articulations du bras.

Espérons que cela marchera et que la mission pourra continuer.