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Article | 09/12/2010

Des îles hautes aux atolls : une histoire du plancher océanique

09/12/2010

Stéphane Labrosse

ENS de Lyon, Laboratoire de Sciences de la Terre

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les atolls sont des îles coralliennes qui dépassent à peine le niveau de l'océan et dont la formation peut être expliquée par la subsidence du plancher océanique du fait de son refroidissement par diffusion.


Introduction

En 1842, Darwin a publié un livre sur les barrières de corail (Darwin, 1842) qui sont des zones fascinantes notamment pour leur beauté et la biologie qu'elles abritent. Par ailleurs, elles constituent peut-être l'exemple le plus flagrant de structures géologiques de grande envergure qui tirent leur origine de la biologie, étant formées par la croissance des coraux. Enfin, les atolls sont des îles composées d'une unique barrière de corail formant un anneau qui ne dépassent que de quelques mètres la surface de l'océan. Au delà de la beauté de ces lieux qui en fait des destinations touristiques de choix, ces atolls sont souvent habités par des populations qui ont appris à vivre dans un environnement hostile1 où toute houle forte peut submerger l'ensemble de l'île et où les cyclones sont généralement très meurtriers. Pour savoir si ces îles sont effectivement menacées par la montée des eaux consécutive au réchauffement de la planète, il est important de comprendre leur formation.


Darwin discute de cette question et, remarquant que les coraux ne peuvent croître que proche de la surface de l'eau (du moins ceux qui forment les barrières), il en déduit que la Terre sur laquelle les coraux ont commencé à se développer a disparu par subsidence : « From the limited depths at which reef-building polypifers can flourish, taken into consideration with certain other circumstances, we are compelled to conclude, as it will be seen, that both in atolls and barrier-reefs, the foundation on which the coral was primarily attached, has subsided; and that during this downward movement, the reefs have grown upwards »2. La raison de cette subsidence lui était inconnue mais cette explication est la bonne.

1 Lorsque Ferdinand Magellan, en 1520, découvrit Puka Puka, dans les Tuamotu, premier atoll, alors inhabité, vu par un européen, et la future île Flint, îles de la Ligne, elles furent nommées “îles infortunées”. Pour John Byron qui découvrit en 1766 les îles de Napuka et Tepoto, Tuamotu du Nord, ce furent les îles du Désapointement. Pour Louis-Antoine de Bougainville, les Tuamotus étaient “l'archipel dangeureux”. Pour une histoire des découvertes européennes en Polynésie, voir Scemla (1994).

2 p. 4. Traduction personnelle : "des profondeurs limitées auxquelles les polypiers peuvent prospérer, prises en considération avec d'autres arguments, on est poussé à conclure, comme on le verra, que pour les atolls comme les récifs barrière, le socle sur lequel le corail s'était initialement développé s'est affaissé ; et que durant ce mouvement descendant, les récifs ont crû vers le haut"

Subsidence thermique et croissance des coraux


Dans un autre article, nous avons discuté de la profondeur du plancher océanique et montré comment elle augmente avec l'âge de la lithosphère,‭ ‬c'est-à-dire le temps depuis sa mise en place à la dorsale.‭ Le succès de cette théorie pour expliquer les observations des fonds océaniques est une des briques fonadementales de la tectonique des plaques, et le sujet discuté ici est une de ces observations. ‬Les îles océaniques sont souvent construites dans un contexte de point chaud,‭ ‬que l'on explique le plus souvent par l'effet en surface d'un panache mantellique chaud,‭ ‬fixe en profondeur,‭ ‬et qui produit de la fusion partielle par décompression adiabatique en arrivant en surface.‭ ‬La surface,‭ ‬formée d'une plaque rigide,‭ ‬la lithosphère,‭ ‬se déplace et interagit avec cette zone chaude qui forme ainsi une chaîne d'îles,‭ ‬dont l'exemple le plus frappant est Hawai'i.‭ ‬Si l'on crée une île sur la lithosphère océanique à l'aplomb d'un point chaud,‭ ‬cette îles va ensuite être emportée par la plaque et progressivement s'enfoncer avec elle.

Cependant,‭ ‬Hawai'i culmine à plus de‭ ‬4200‭ m au dessus du niveau océanique,‭ ‬plus de‭ ‬8000‭  m au dessus du plancher,‭ ‬alors que la subsidence thermique des océans ne dépasse pas‭ ‬3000‭ ‬m.‭ ‬Il faut donc améliorer un peu le modèle pour prendre en compte les effets du panache thermique sur la lithosphère.‭ ‬En effet,‭ ‬l'étalement de la matière chaude et peu dense du panache sous la lithosphère exerce une pression sur celle-ci et la déforme.‭ ‬Elle crée un bombement du plancher océanique sur une distance plus grande que la largeur des îles et bien visible sur la carte de la figure 3.‭ ‬Ce mécanisme a été modélisé par Ribe and Christensen‭ (‬1994‭) ‬et la comparaison entre les prédictions du modèle et les observations montrent un excellent accord‭ (‬fig. 3‭)‬.

Figure 3. Topographie des fonds océaniques autour de la chaîne hawaiienne et topographie‭ (‬relative au plancher océanique normal‭) ‬observée après suppression des îles le long de l'axe du bombement‭ (‬carrés‭) ‬et modélisée (courbe)

Le tracé de la coupe de droite est noté sur la carte de gauche en tiretés, avec indication du "0" et de l'orientation de l'axe "x". En "y", la topographie du plancher par rapport à un plancher classique de même âge.


Le schéma de la figure 2‭ ‬explique donc le mécanisme de formation du bombement et permet également de comprendre comment une île initialement très haute peut s'enfoncer progressivement avec la plaque qui la porte.

Certaines de ces îles sont formées dans la zone intertropicale où de nombreuses espèces de coraux peuvent se développer,‭ ‬en général près de la surface‭ (‬la figure 4‭ ‬montre la distribution des récifs coralliens à la surface de la Terre,‭ ‬telle que compilée par Darwin‭)‬.‭ ‬Ces coraux peuvent former une couronne qui entoure presque intégralement l'île,‭ couronne ‬initialement proche du rivage où justement la profondeur n'est pas trop importante.‭ ‬Avec la subsidence de l'île son rivage s'enfonce mais les coraux croissent de façon à rester près de la surface.‭ ‬De ce fait,‭ ‬la distance entre la rive solide de l'île volcanique et l'anneau de corail qui l'entoure augmente avec le temps.‭ ‬L'île volcanique finit par entièrement disparaître‭ (‬aidée en cela par l'érosion qui peut être très efficace sous ces climats‭) ‬et il ne subsiste que l'anneau de corail,‭ ‬un atoll.‭ ‬Darwin‭ (‬1842‭) ‬écrit :‭ « ‬If,‭ ‬then,‭ ‬the foundations of the many atolls were not uplifted into the requisite position,‭ ‬they must of necessity have subsided into it‭; ‬and this at once solves every difficulty,‭ ‬for we may safely infer‭ [‬...‭] ‬that during a gradual subsidence the corals would be favourably circumstanced for building up their solid frameworks and reaching the surface,‭ ‬as island after island slowly disappeared »‭‬ 3.

Distribution de récifs coralliens proposée par Darwin‭ (‬1842‭)

Figure 4. Distribution de récifs coralliens proposée par Darwin‭ (‬1842‭)

En bleu foncé, la localisation des atolls connus à l'époque,‭ ‬en bleu clair les récifs barrières qui leur sont très similaires et en rouge les récifs frangeants qui sont eux très différents.‭ ‬Les points rouges représentent les volcans actifs.‭ ‬Voir la carte des coraux de Darwin dans Google Earth.


L'île de Mehetia,‭ ‬la plus jeune île de l'archipel de la Société

Figure 5. L'île de Mehetia,‭ ‬la plus jeune île de l'archipel de la Société

Vues tirées de Google earth‭ (‬gauche et haut à droite‭) ‬et dessin tiré du voyage de‭ ‬1769‭ ‬de James Cook‭ (‬1728‭–‬1779). Voir Mehetia avec Google Earth.


On a donc expliqué la formation des récifs coralliens autour des îles et,‭ ‬du fait de leur subsidence,‭ ‬leur évolution en atolls.‭ ‬Mais les coraux ne vivent que sous la surface de l'eau et il faut expliquer la formation d'îles émergées sur la barrière de corail.‭ ‬Dans ce processus,‭ ‬le cocotier joue un rôle important.‭ ‬La noix de coco flotte,‭ ‬peut traverser les océans et rester féconde pendant très longtemps.‭ ‬Dès qu'elle s'arrête sur un rocher qui affleure,‭ elle peut germer et prendre racine.‭ Le cocotier aide alors à stabiliser un sol et former un îlot‭ (‬fig.6‭)‬.‭ Par ailleurs,‭ le cocotier est une plante providentielle pour les habitants des atolls‭ :‭ ‬il fournit une pulpe nourrissante lorsque l'on récolte la noix mure et une eau douce légèrement sucrée qui semble étrangement fraîche lorsqu'on s'abreuve d'une noix verte juste cueillie.‭ ‬Le cocotier transforme ainsi l'eau de mer qu'il utilise pour croître en eau propre à la consommation,‭ ‬ce qui est fort appréciable sur les atolls où la seule autre source d'eau douce est la pluie.

Cocotiers sur des îlots (motu en Tahitien)

Figure 6. Cocotiers sur des îlots (motu en Tahitien)

‭ ‬Un simple rocher affleurant suffit à la noix de coco pour s'échouer et prendre racine.

À gauche : cocotiers sur un ‬motu ‬dans le lagon de Raiatea.‭ ‬À droite ‭ ‬:‭ ‬un motu de la barrière de Bora Bora.


3 pp. 93-94. Traduction personnelle : « Donc, si les socles des nombreux atolls n'ont été soulevés jusqu'à la hauteur requise, ils ont dû y subsider ; et cela résout toutes les difficultés, puisque l'on peut sans risque affirmer que durant leur subsidence graduelle les coraux seraient bien placés pour construire leur structure et atteindre la surface, chaque île disparaissant l'une après l'autre ».

Un exemple‭  :‭ ‬l'archipel de la Société

Vue générale de l'archipel de la Société

Figure 7. Vue générale de l'archipel de la Société

Parmi les volcans actifs à l'Est de la chaîne, seul Mehetia sort de l'eau.


Voyons par un exemple,‭ ‬celui de l'archipel de la Société‭ (‬fig. 7‭)‬,‭ ‬auquel appartient Tahiti,‭ ‬en Polynésie Française,‭ ‬si cela suit le modèle.‭ ‬Le volcanisme actif est situé au niveau des monts sous–marins Rocard et Tehetia,‭ ‬et de l'île de Mehetia‭ (‬fig.5‭)‬.‭ ‬Tout d'abord,‭ ‬il faut voir que le point chaud actif n'est pas un point mais une zone puisque plusieurs volcans actifs coexistent dans une même zone.‭ ‬Cela représente déjà une complexité plus importante que ce qui est représenté sur le schéma de la figure 2.‭ ‬De même,‭ ‬si on voit que les îles sont effectivement alignées dans la direction du mouvement de la plaque‭ (‬fig. 7‭)‬,‭ ‬on voit que la zone de formation des îles est assez large et que l'on peut avoir plusieurs îles fabriquées simultanément.‭ ‬Par ailleurs,‭ ‬on voit que si effectivement les îles jeunes,‭ ‬au Sud-Est,‭ ‬sont généralement plus élevées et ont une barrière de corail moins développée que les îles anciennes,‭ ‬on trouve un atoll‭ (‬Tetiaroa,‭ ‬fig. 1‭) ‬très proche de Tahiti.‭ ‬Voyons en détail la chaîne volcanique par ordre d'âge.

Tahiti et Moorea

Figure 8. Tahiti et Moorea

On voit que l'île de Tahiti est en fait constituée de deux volcans‭ (‬Tahiti Nui,‭ ‬grande Tahiti et Tahiti Iti,‭ ‬petite Tahiti,‭ ‬encore appelée la presqu'île‭) ‬et que la barrière de corail ne l'entoure pas complètement.‭ ‬Moorea par contre est entourée complètement par une barrière de corail,‭ ‬seulement interrompue par les passes.‭ ‬À droite‭ ‬:‭ ‬photo aérienne de la pointe Vénus qui est une région où la barrière de corail se développe vers l'Est de Tahiti.


Il faut un temps important pour qu'une barrière de corail entoure entièrement une île.‭ ‬Ainsi,‭ ‬l'île de Mehetia‭ (‬fig. 5‭), ‬la plus jeune île de l'archipel de la Société, ne possède pas encore de barrière.‭ ‬L'île de Tahiti‭ (‬fig. 8‭)‬,‭ ‬suivante en âge dans la chaîne,‭ ‬possède une barrière qui ne l'entoure que partiellement.‭ ‬En particulier,‭ ‬la côte Est de l'île est soumise aux vents dominants‭ ‬et à la houle qui l'accompagne,‭ ‬ce qui ralentit la croissante de la barrière.‭ ‬La pointe Vénus‭ (‬voir photo sur la figure 8‭) ‬est un point où la barrière se développe actuellement,‭ ‬ce qui amène les sédiments à s'accumuler pour former un cap‭‬.‭ ‬L'île suivante dans l'archipel,‭ ‬Moorea‭ (‬fig. 8‭)‬,‭ ‬est entièrement entourée d'un lagon et d'une barrière de corail seulement percée par des passes‭ (‬nous y reviendrons‭)‬.‭ ‬Par ailleurs,‭ ‬la distance entre la rive de l'île et la barrière de corail,‭ ‬l'espace appelé lagon,‭ ‬est plus large dans le cas de Moorea que dans celui de Tahiti,‭ ‬ce qui correspond bien au schéma simple discuté précédemment‭ (‬fig. 2‭)‬.

Raiatea,‭ ‬Tahaa et Bora Bora

Figure 9. Raiatea,‭ ‬Tahaa et Bora Bora

‬À gauche,‭ ‬une image tirée de Google Earth et à droite les cartes tirées de Darwin‭ (‬1842).

Voir, dans Goole Earth, les cartes de Darwin de Bora-Bora et Raiatea et Tahaa.


Discutons maintenant des trois des îles suivantes‭ (‬en omettant Huahine au passage‭)‬,‭ Raiatea,‭ Tahaa et Bora Bora‭ (‬fig.9‭)‬.‭ On voit que Raiatea et Tahaa ont comme particularité d'être dans le même lagon.‭ ‬La situation est assez proche de Tahiti‭ ‬:‭ ‬deux volcans très proches qui ont peut-être formé une seule île autrefois,‭ ‬et qui sont en tout cas maintenant entourés d'une barrière de corail unique.‭ ‬La distance entre le rivage des îles et la barrière est encore plus grande que dans le cas de Moorea,‭ ‬ce qui correspond bien au modèle.‭ ‬L'île suivante de Bora Bora‭ ‬est très célèbre,‭ ‬notamment pour avoir abrité des tournages de films et une base américaine pendant la seconde guerre mondiale.‭ ‬Mais cette île est surtout célèbre pour la beauté de son lagon qui présente des gammes très variées de couleurs bleues.‭ ‬Ces variations de teintes sont dues aux variations de profondeur,‭ ‬le bleu le plus foncé correspondant aux profondeurs les plus élevées,‭ ‬et également aux variations du fond,‭ ‬les bleus clairs étant généralement obtenus sur des fonds sablonneux peu profonds.

Vue de Bora Bora depuis un bateau sortant vers la passe‭ (‬haut‭) ‬et vue globale de l'île (centre) et vue sur le point culminant et le lagon (bas)

Figure 10. Vue de Bora Bora depuis un bateau sortant vers la passe‭ (‬haut‭) ‬et vue globale de l'île (centre) et vue sur le point culminant et le lagon (bas)

Voir Bora Bora dans Google earth..

‬En haut, on voit,‭ ‬de gauche à droite,‭ ‬le bord de l'île principale,‭ ‬la seconde île volcanique et un îlot corallien‭ (‬motu‭)‬,‭ ‬plat.

En bas, photo prise du second sommet de l'île (mont Pahia) avec une vue sur le point culminant (mont Otemanu) et le lagon.


Par rapport à l'histoire qui fait l'objet de cet article,‭ ‬on voit que la partie volcanique centrale est très réduite alors que le lagon est très étendu.‭ ‬La subsidence du volcan n'est pas encore complète mais bien avancée.‭ ‬On peut avoir une idée de la taille passée du volcan en remarquant qu'une des îles secondaires du lagon‭ (‬fig. 10‭)‬,‭ ‬n'est pas un îlot corallien mais un morceau du volcan,‭ ‬maintenant séparé de sa partie principale par la subsidence et l'érosion.‭ ‬Ceci se voit à l'altitude et la morphologie de cet îlot qui dépasse largement le niveau de l'océan et ne peut avoir été produit par des coraux.

Plus loin dans la chaîne,‭ ‬on trouve Maupiti,‭ ‬qui ressemble à Bora Bora en plus petit,‭ ‬puis des atolls,‭ ‬Maupiha‭ (‬aussi connu sous le nom de Mopelia‭)‬,‭ ‬Manuae et Motu One.‭ ‬Ceci correspond bien au schéma de la figure 2‭ ‬mais on peut noter la présence dans la chaîne d'un atoll beaucoup plus proche du volcan actif,‭ ‬Tetiaroa‭ (‬fig.1‭)‬.‭ ‬Cela montre,‭ ‬une fois de plus,‭ ‬que la situation réelle est un peu plus complexe que ce schéma.‭ ‬Principalement,‭ ‬comme on l'a déjà remarqué pour le point chaud actif,‭ ‬la chaîne volcanique n'est pas une simple ligne et par ailleurs les édifices volcaniques n'ont pas tous la même taille.‭ ‬C'est par exemple évident lorsqu'on compare Tahiti et Mehetia.‭ ‬On peut donc imaginer que le volcan à l'origine de Tetiaroa n'était pas très haut,‭ ‬ce qui est cohérent avec la taille réduite de l'atoll dans lequel il faut pouvoir loger l'intégralité de la partie émergée du volcan,‭ ‬et qu'il a pu entièrement subsider en un temps assez court.‭

Les passes‭ ‬:‭ ‬témoins des anciennes rivières‭ ?

L'atoll de Moorea

Figure 11. L'atoll de Moorea

On voit que la barrière de corail est percée de plusieurs passes,‭ ‬qui le plus souvent font face à une échancrure dans la ligne de rivage de l'île haute,‭ ‬signe de l'estuaire d'une rivière.


Ayant discuté de l'évolution générale de la chaîne volcanique sur la plaque lithosphérique,‭ ‬il est intéressant de discuter de la structure des barrières de corail.‭ ‬On a déjà mentionné la présence de passes qui interrompent la barrière par endroits,‭ ‬même lorsque celle-ci serait sinon complète,‭ ‬c'est-à-dire lorsqu'elle a disposé de suffisamment de temps pour entourer toute l'île.‭ ‬C'est le cas de Moorea,‭ ‬comme on l'a déjà dit‭ (‬fig. 8‭)‬.‭ ‬En y regardant de plus près‭ (‬fig.11‭)‬,‭ ‬on voit que les passes se trouvent en face des vallées principales de l'île.‭ ‬Cette observation,‭ ‬déjà faite par Darwin,‭ ‬suggère une explication pour leur formation,‭ ‬ou plutôt l'absence de formation de barrière de corail dans la section correspondante‭ ‬:‭ ‬l'apport d'eau douce et peut-être surtout‭ (‬d'après Darwin‭) ‬de sédiments limitent la possibilité de croissance des coraux.‭ ‬Cette explication n'est pas systématique et on peut voir par exemple une vallée légèrement à l'Est de la pointe Sud de l'île qui ne fait pas face à une passe.‭ ‬Cependant,‭ ‬on voit qu'un chenal profond‭ (‬de couleur foncée‭) ‬relie l'embouchure de la vallée à la passe la plus proche,‭ légèrement plus au Nord.‭ ‬Il est intéressant également de constater que la barrière de Moorea,‭ ‬qui est relativement jeune, ‬ne présente que peu d'îlots coralliens‭ (‬motu)‬,‭ ‬contrairement,‭ ‬par exemple,‭ ‬à Bora Bora dont la barrière est couverte de motus sur plus de la moitié de son pourtour.

La passe de Tikehau vue d'avion

Figure 12. La passe de Tikehau vue d'avion

L'île de Tikehau ne possède qu'une passe qui sépare des motu bien boisés.‭ ‬Pour se rendre compte de l'échelle,‭ ‬remarquer le bateau‭ (‬environ‭ ‬100 ‬m de long‭) ‬qui est en train de sortir de la passe.‭ ‬Les passes sont les zones privilégiées de communication entre le lagon et le large,‭ ‬pour la biologie comme pour les sociétés humaines qui trouvent à l'intérieur du lagon un havre naturel pour leurs embarcations.



Vue de l'atoll de Tikehau (‬gauche‭) ‬et interprétation en terme de circulation d'eau‭ (‬droite‭)

Figure 14. Vue de l'atoll de Tikehau (‬gauche‭) ‬et interprétation en terme de circulation d'eau‭ (‬droite‭)

Les entrées d'eau se produisent sur tout le tour de l'atoll,‭ ‬en fonction de la direction de la houle,‭ ‬alors que la seule sortie possible est par la passe.‭ ‬Le courant dans la passe peut s'inverser avec la houle ou la marée,‭ ‬mais les vagues dans le lagon ne sont pas assez importantes pour permettre une sortie d'eau importante par dessus la barrière.


On peut néanmoins noter que les atolls possèdent généralement des passes,‭ ‬comme par exemple celle de Tikehau que l'on voit sur la figure 12‭ ‬et celle de Tiputa à Rangiroa que l'on voit sur la figure 13,‭ ‬et on est poussé à la conclusion que ces passes sont des témoins des rivières qui devaient exister sur l'île volcanique avant sa disparition par subsidence.‭ ‬On peut se demander ce qui,‭ ‬depuis cette disparition,‭ ‬empêche la fermeture de cette passe par la croissance du corail.‭ ‬D'abord,‭ ‬on peut remarquer que certaines passes se sont peut-être effectivement refermées,‭ ‬et que l'on ne connaît pas l'intégralité de l'histoire de l'île maintenant disparue.‭ ‬Dans le cas de Tikehau,‭ ‬la grande taille de l'atoll‭ (‬fig.14‭) ‬suggère une île importante et il est probable que plusieurs rivières aient fonctionné,‭ ‬avec sans doute plusieurs passes associées.‭ ‬Une raison pour laquelle une passe ne se referme pas,‭ ‬bien après que la rivière à son origine a disparu,‭ ‬est peut-être à chercher dans le courant très élevé rencontré dans ces passes qui peut limiter la possibilité du corail à se développer.

Détails des atolls de Rangiroa ‭(ciel immense en paumotu, le langage loca‬l ‭ ‬dans l'archipel des Tuamotu‭ (‬Polynésie française‭) et Tikehau

Figure 15. Détails des atolls de Rangiroa ‭(ciel immense en paumotu, le langage loca‬l ‭ ‬dans l'archipel des Tuamotu‭ (‬Polynésie française‭) et Tikehau

Photo de gauche : barrière de l'atoll de Rangiroa. La photo de droite montre un gros plan sur la barrière de Tikehau avec sa succession d'îlots‭ (‬appelés‭ “‬motu‭” ‬en polynésien) ‭séparés par des canaux étroits et peu profonds‭ (‬appelés‭ “‬hoa‭” ‬en Polynésien‭) ‬qui assurent des entrées d'eau dans l'atoll.

En bas vue générale de Rangiroa et Tikehau sur Google earth.


Structure de la barrière d'un atoll

Figure 16. Structure de la barrière d'un atoll

La houle provoque des vagues importantes du côté de l'océan et un flux important arrive dans le platier externe.‭ ‬Il s'écoule alors vers l'intérieur de l'atoll par les hoa.

Schéma ‬adapté de Andréfouët et al.‭ (‬2000‭)‬,‭ ‬initialement de Battistini et al.‭ (‬1975‭).


Platier de Tikehau

Figure 17. Platier de Tikehau

Vue d'ensemble‭ (‬gauche‭) ‬et gros plan sur la houle qui se brise sur la pente externe‭ (‬droite‭).


On peut comprendre facilement l'importance des courants dans les passes des atolls en étudiant les modes par lesquels le lagon et l'océan communiquent.‭ ‬Clairement les passes représentent un moyen d'échange privilégié et cela n'est pas une surprise que les courants y soient importants.‭ ‬Mais on peut aller plus loin et remarquer que l'eau peut facilement entrer dans le lagon en tout point lorsque la houle est importante mais la hauteur des vagues à l'intérieur du lagon est trop faible pour que l'eau puisse sortir par le même chemin.‭ ‬Toute l'eau que la houle amène par dessus la barrière de corail doit donc sortir par les passes. Cet effet d'entonnoir induit un courant très important dans celles–ci (fig.14). ‬Pour montrer qu'un flux important existe en tout point de la barrière du fait de la houle,‭ ‬il suffit d'observer la structure de la barrière sur les photos des figures 15‭ ‬et 17‭ ‬et le schéma interprétatif sur la figure 16.‭ ‬On voit que la barrière est composée d'une succession d'îlots,‭ ‬appelés motu en polynésien,‭ ‬et de canaux,‭ ‬appelés hoa en polynésien.‭ ‬Le courant dans ces hoa est généralement très faible mais vers l'intérieur du lagon.‭ ‬Contrairement aux passes qui sont généralement assez profondes pour laisser des bateaux de taille importante y naviguer,‭ ‬les hoa n'ont que quelques mètres de profondeur et sont ainsi des structures superficielles de la barrière de corail.‭ ‬Ils ont néanmoins un rôle important dans la circulation d'eau entre l'océan et le lagon.

Références

  • S. Andréfouët, S.‭ ‬Maritorena, L. Loubersac,‭ ‬2000.‭ ‬Un bilan de la télédétection appliquée aux milieux coralliens.‭ ‬Océanis,‭ ‬26,‭ ‬311‭–‬349
  • R. Battistini, F.‭ ‬Bourrouilh, J.-P.‭ ‬Chevalier, J.‭ ‬Coudray, M.‭ ‬Denizot, G.‭ ‬Faure, J.‭ ‬Fisher, A.‭ ‬Guilcher, M.‭ ‬Harmelin-Vivien, J.‭ ‬Jaubert,‭ J.‭ ‬Laborel,‭ J.P.‭ ‬Masse,‭ L.‭ ‬Maugé,‭ L.‭ ‬Montaggioni, M.‭ ‬Peyrot-Clausade,‭ ‬M.‭ ‬Pichon,‭ R.‭ ‬Plante,‭ J.‭ ‬Plaziat,‭ Y.‭ ‬Plessis,‭ G.‭ ‬Richard,‭ B.‭ ‬Salvat,‭ B.‭ ‬Thomassin,‭ P.‭ ‬Vasseur,‭ P. Weydert,‭ ‬1975.‭ ‬Eléments de terminologie récifale indopacifique.‭ ‬Thétys,‭ ‬7,‭ ‬1‭–‬111
  • C.R. Darwin, 1842. The structure and distribution of coral reefs. Being the first part of the geology of the voyage of the Beagle, under the command of Capt. Fitzroy, R.N. during the years 1832 to 1836. Smith Elder and Co. (version en ligne de Darwin, 1842)
  • J.-J. Scemla, 1994. Le voyage en Polynésie - Anthologie des voyageurs occidentaux de Cook à Segalen. Robert Laffont - Bouquins
  • N. Ribe,‭ ‬U.R. Christensen,‭ ‬1994.‭ ‬Three-dimensional modeling of plume-lithosphere interaction.‭ ‬J.‭ ‬Geophys.‭ ‬Res,‭ ‬99,‭ ‬669‭–‬682

Remerciements

Serge Andréfouët‭ (‬IRD Nouméa‭) ‬a relu cet article et fourni quelques précisions et références très utiles.‭ ‬Toute inexactitude qui pourrait persister dans ce texte reste cependant de l'entière responsabilité de l'auteur.