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Article | 15/09/2010

À la découverte géologique des falaises d'Étretat, présentation d'une excursion allant de la plage du Tilleul (Antifer) à la porte d'Amont (Étretat Nord)

15/09/2010

Bernard Hoyez

Université du Havre

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Présentation du contexte de l'excursion et points géologiques généraux.


Le site d'Étretat est mondialement connu. Ses falaises ont inspiré Monet et les impressionnistes. Maupassant et Hugo se sont émerveillés devant ses arches majestueuses. Le légendaire Arsène Lupin rôde encore dans sa mystérieuse aiguille creuse. Le cinéma et la chanson ont immortalisé ses galets. Cette popularité amène une multitude de personnes à venir contempler la grande muraille de craie et, à cette occasion, se pose la question de son origine géologique.

Un certain nombre d'études géologiques ont été publiées sur le site d'Étretat, consacrées principalement à la sédimentologie et la stratigraphie. Cependant, malgré le caractère pittoresque du lieu, celui-ci reste un peu à l'écart des circuits géologiques traditionnels et on ne trouve que peu de guides qui permettent une première découverte. Cette méconnaissance tient en partie à la complexité locale de la stratification et à la rareté des macrofossiles. La grande variabilité des observations que l'on peut faire d'un point à un autre est assez déroutante et il est difficile de comprendre immédiatement la logique globale qui les relie. C'est dans le but de faciliter une première approche géologique des falaises que nous avons réalisé ce guide. Le parcours continu proposé a été décomposé en une série de stations. Chaque arrêt est l'occasion d'une réflexion sur un problème géologique particulier ou d'un commentaire général d'un point de vue. Toutes les descriptions et les explications proposées ici sont placées dans un ordre qui doit permettre l'assimilation progressive des connaissances et le suivi du fil conducteur. Les stations sont facilement identifiables grâce à leurs coordonnées GPS ou à la photographie correspondante.

Après une première excursion consacrée à l'étude du Coniacien de la région d'Étretat, du Fonds d'Étigue à la Porte d'Amont, une deuxième excursion est ici présentée et couvre, plus au Sud, la côte située entre la valleuse d'Antifer (ou du Tilleul) et la Porte d'Amont. Après une présentation générale, la description des stations est scindée en deux parties : de la valleuse du Tilleul à l'Anse de la Valaine, puis de l'Anse de la Valaine à la Porte d'Amont.

Géologie régionale et logistique

Contexte géologique

Étretat se situe à la bordure Nord-Ouest du Bassin de Paris, dans le Pays de Caux.

Position d'Étretat dans le Bassin de Paris

Figure 1. Position d'Étretat dans le Bassin de Paris

Carte inspirée de Mortimore et Pomerol, 1987


Régionalement, la structure tectonique est simple et se ramène à un synclinal (synclinal d'Ailly) avec de faibles pendages. Une grande faille normale de direction NNW-SSE (faille de Fécamp-Lillebonne) accidente le flanc Ouest du synclinal, en affaissant d'une centaine de mètres le compartiment Ouest (celui auquel appartient Étretat). En se déplaçant du Havre vers Fécamp, le pendage apparent, lié uniquement à la tectonique, permet d'observer des couches de plus en plus récentes. Le tronçon littoral concerné ici se réduit à l'intervalle stratigraphique Cénomanien supérieur à Coniacien moyen.

Structure tectonique régionale près d'Étretat


Indépendamment de la tectonique, la stratification est affectée de pseudo-plis qui témoignent que la stratification était originellement ondulée et que le fond sous-marin, au cours du Turonien supérieur- Coniacien, était très irrégulier. Étretat constitue l'un des exemples les plus remarquables de ce type de phénomène.

Localisation du parcours et logistique

Le circuit proposé s'étend du Sud de la valleuse d'Antifer (ou valleuse du Tilleul) à la Porte d'Amont (Étretat Nord). Il présente quelques difficultés techniques nécessitant une bonne condition physique.

Localisation cartographique du parcours

Localisation du circuit

Localisation des 21 stations, de la plage du Tilleul à la Porte d'Amont

Une excursion virtuelle Antifer-Étretat via Google Earth est proposée sous forme de fichier kmz.

Trois Difficultés majeures sont à prendre en compte.

Difficulté 1- La longueur du circuit. La « partie utile » est d'environ 3,5 km, à laquelle il faut ajouter 1,8 km de marche d'approche. Pour un circuit aller-retour en individuel, il faut donc compter environ 11 km de marche dont une partie sur les galets.

Difficulté 2- L'accessibilité technique. Le franchissement des 4 caps peut s'avérer difficile voire impossible dans certaines circonstances.

  • Pointe de la Courtine. Selon les saisons et les tempêtes, le cordon de galets peut être trop bas pour empêcher l'accès à l'escalier de la paroi Sud. Les personnes sujettes au vertige peuvent éprouver de la peine à franchir la corniche de la paroi Nord.
  • Pointe de Valaine. Les replats couverts d'algues sont très glissants. L'échelle côté Nord ne descend pas jusqu'au cordon de galets et il est nécessaire de sauter.
  • Manneporte. L'échelle est solide, mais sa hauteur peut être impressionnante.
  • Porte d'Aval. L'échelle menant à la galerie est dégradée et nécessite un peu d'escalade.

Difficulté 3- Le respect des horaires de marée. On se basera sur une heure TBM de basse mer à Étretat. Consulter les horaires sur le site du SHOM (prévisions à 7 jours, en choisissant le port d'Étretat. Si l'on bénéficie d'une BM de fort coefficient, on peut espérer passer sous la Porte d'Aval. Dans le cas d'un transport motorisé en groupe, on pourra s'épargner le trajet de retour par le chemin du haut de falaise, mais on y perdra la contemplation de superbes points-de-vue.

Selon le mode de transport (dépendant généralement du nombre de personnes) l'heure de début varie légèrement.

  • Cas 1 : transport en car. Prévoir une arrivée au parking du Tilleul à TBM – 2h30min.

    Effectuer la marche d'approche en suivant la valleuse d'Antifer jusqu'à la plage du Tilleul. En fin de coupe, remonter par le chemin du restaurant des Roches Blanches jusqu'au parking de la Chapelle Notre-Dame de la Garde où le car se sera déplacé.

  • Cas 2 : transport en groupe dans plusieurs véhicules. Prévoir une arrivée collective au parking de la Chapelle Notre-Dame de la Garde à TBM – 3h.

    Regrouper les participants dans le minimum de véhicules en laissant les autres en stationnement. Se rendre jusqu'au parking du Tilleul où l'on poursuivra comme dans le cas 1.

  • Cas 3 : transport individuel ou dans un seul véhicule. Prévoir une arrivée au parking du Tilleul à TBM – 2h30min.

    Effectuer la marche d'approche en suivant la valleuse d'Antifer jusqu'à la plage du Tilleul. Suivre le parcours de la base des falaises, de la plage du Tilleul à la Porte d'Amont. Revenir, via Etretat, par le chemin du sommet des falaises.

Éléments de géologie abordés lors de l'excursion

Le hardground, un type de craie particulier

La craie ordinaire est une roche blanche faiblement cimentée, composée essentiellement de nannofossiles calcaires (coccolithes). Une certaine proportion de débris bioclastiques (inocérames, échinodermes), vannés par les courants, leur confère parfois un aspect de calcarénite.

Exceptionnellement, certaines craies ont subi une cimentation diagénétique précoce, liée à l'activité de courants sur le fond sous-marin et au ralentissement ou à l'interruption de la sédimentation. Le durcissement de ces craies est à l'origine de leur appellation de « hardground ». La cimentation s'organise d'abord autour de nodules que contournent les organismes fouisseurs. Le léchage permanent par les courants entraîne la formation d'une croûte dure, perforée par des vers ou servant de support ferme aux huîtres. Sur les parois des zones perméables, des minéraux peuvent précipiter en formant un enduit glauconieux vert, ou phosphaté brun, ou ferrugineux rouge. Si l'action des courants est intense ou prolongée, il se produit une érosion chimique et mécanique qui enlève une certaine quantité de matière et on aboutit à un hardground tronqué. Un hardground ne dépasse généralement pas 50 cm d'épaisseur, mais plusieurs épisodes de formation peuvent se succéder et, dans ce cas, les hardgrounds coalescents peuvent dépasser un mètre d'épaisseur cumulée. À débit constant, la vitesse des courants est plus forte sur les haut-fonds ; il n'est donc pas étonnant que les hardgrounds soient plus nombreux et mieux formés sur les monticules sédimentaires. Les hardgrounds sont souvent liés à des ruptures d'équilibre ou au changement de la géométrie du bassin. Dans le cadre de la stratigraphie séquentielle, ils soulignent les épisodes transgressifs ou régressifs au cours desquels la géométrie du bassin est fortement modifiée.

Le silex, une roche particulière

L'origine de la silice des silex

Le silicium (Si) contenu dans l'eau de mer provient originellement de l'altération des minéraux silicatés constituant la croûte continentale et est amené par les cours d'eau ou par les vents (poussières). Ce silicium peut également provenir des volcans océaniques (silice lithogénique) ou de phytolithes (silice biogénique continentale).

Dans des conditions normales de pH, le silicium est dissout dans l'eau de mer sous forme d'acide orthosilicique Si(OH)4 (encore écrit H4SiO4). Cette molécule fonctionne comme un acide tétraprotoné, les 4 protons se dissociant successivement et produisant une série d'ions monosilicates : SiO(OH)31- , SiO2(OH)22-, SiO3(OH)3-, SiO44-.

  • Si(OH)4 ↔ SiO(OH)31- + H+
  • SiO(OH)31- ↔ SiO2(OH)22- + H+
  • SiO2(OH)22-- ↔ SiO3(OH)3- +H+
  • SiO3(OH)3- ↔ SiO44- + H+

À un pH de 8,1, la forme neutre Si(OH)4 est dominante (96.2% du Si total).

À un pH compris entre 9,75 et 12,2, c'est SiO(OH)31- qui prédomine.

Le silicium primaire, sous ses différentes déclinaisons, est consommé par certains organismes animaux ou végétaux pour la fabrication d'un test qui les supporte ou qui les protège (silice biogénique océanique). La plupart d'entre eux vivent dans le plancton (diatomées avec un frustule, radiolaires, ébriédiens, silicoflagellés avec un endosquelette), mais il existe des métazoaires benthiques, les spongiaires hexactinellidés et lithistidés, qui ont un squelette formé d'un feutrage de spicules siliceux. Ces animaux ou ces végétaux (diatomées, silicoflagellés) très anciens ont connus différentes périodes de recrudescence au cours des temps géologiques. Le Crétacé supérieur est l'une de ces périodes privilégiées, ainsi la gaize albienne est constituée en grande partie de spicules ou bien encore la craie cénomanienne contient une grande quantité d'éponges préservées en silex. Les diatomées, qui se diversifient au Tertiaire, constituent actuellement une pompe à silice importante. Intervenant moins au Crétacé, la concentration en acide silicique de l'eau de mer devait être au moins dix fois supérieure.

La précipitation biogénique de la silice est dominante. Cette silice, dite opale-A, est une silice faiblement cristallisée ou amorphe contenant jusqu'à 10% d'eau. C'est l'activité enzymatique de l'organisme qui permet la production et la stabilisation de cette opale. Du fait de la sous-saturation en silice de l'eau de mer, lorsque l'individu meurt, son test est remis en solution. La silice bioprécipitée, bien que bénéficiant d'une assez forte production, n'est donc qu'une phase temporaire, car dans la grande majorité des cas, elle repart en solution, prête à être réutilisée dans un autre cycle. Cette dissolution des tests s'opère dans les centimètres superficiels du sédiment. Les fluides interstitiels s'enrichissent en silice dissoute sous forme de monomères Si(OH)4 qui regagnent généralement l'eau de mer. Cependant, sous certaines conditions, cette silice peut reprécipiter et entreprendre une évolution diagénétique qui la préservera à l'état solide.

La formation du silex

Actuellement moins de 3% de la silice biogénique est préservée dans le sédiment. La reprécipitation de la silice conduit à sa préservation. Dans le cas d'une forte productivité, une boue riche en calcite et silice se dépose sur le fond. La boue crayeuse est riche en matière organique. En profondeur, dans cette matière organique, prolifèrent les bactéries sulfato-réductrices produisant de l'hydrogène sulfuré. À la frontière rédox, c'est-à-dire entre la boue bactérienne anoxique inférieure et la boue riche en oxygène supérieure (à une profondeur d'environ 30 cm dans les sédiments actuels, ne dépassant pas le mètre), ce gaz se dissocie, s'oxyde en sulfate et produit des protons qui diminuent donc le pH, selon la réaction :

  • H2S + O2 → SO42- + 2 H+

La calcite réagit et tend à disparaître ce qui entraîne une forte concentration en ions carbonate.

  • H+ + CaCO3 ↔ Ca2+ + HCO3 -

La calcite est substituée par la silice si la concentration de cette dernière atteint un certain seuil. Des discontinuités dans la boue (restes organiques, terriers tapissés de mucus, fissures ou fractures, zones à faible porosité) servent souvent de germes sur la paroi desquels la silice se met à cristalliser et à les pseudomorphoser. En particulier, les animaux fouisseurs pompent l'eau de mer et en irriguent le sédiment, provoquant une diffusion de l'oxygène et une dégradation de la matière organique. L'oxydation du carbone organique conduit à la suite de réactions suivante :

  • CH2O + O2 → CO2 + H2O → HCO3- + H+

À la suite, la silice secondaire formée, une variété d'opale dite opale C-T car elle est constituée d'une interstratification de cristobalite (C) et de tridymite (T) de basse température, se propage dans le sédiment sous forme de petits cristaux lamellaires ou de microsphérules d'environ 10 μm appelées lépisphères. L'opale C-T, métastable, va évoluer au cours de la diagénèse et de l'enfouissement. Elle se transforme en quartz alpha, en passant d'un état microcristallin à un état cristallin fibreux, la calcédoine. C'est l'opinion générale, mais certains pensent que les deux silicifications (opale CT et calcédoine) se réalisent indépendamment. La calcédoine remplace point par point la calcite de la craie. Le protosilex va ainsi grossir et par dilatations successives former un banc complet.

Certains silex sont creux car la silicification primaire est incomplète. La circulation de l'eau dans la cavité conduit parfois à une dissolution ou une précipitation de silice secondaire sous forme de calcédoine mamelonnée aux jolis reflets bleutés ou encore de petits cristaux de quartz mimant une géode.

Évolution des différentes formes de la silice

Facteurs favorisant la formation des silex

Les facteurs déclenchant la précipitation de la silice sont vraisemblablement multiples, c'est la conjonction de certains de ces facteurs qui permet de réaliser un phénomène qui "normalement" (en se réfèrant à l'actuel) est très rare. Différents paramètres peuvent jouer.

La concentration en silice des boues superficielles

La concentration en silice dépend surtout de la quantité de squelettes siliceux enfouis. L'accumulation d'opale est donc couplée à la productivité. Les facteurs écologiques favorisant la prolifération des organismes siliceux doivent jouer un rôle important dans la préservation de la masse de silice. Dans le cas du bassin épicontinental de la craie, il peut y avoir :

  • des causes locales : profondeur faible (limitée vraisemblablement à une centaine de mètres) du biotope des spongiaires, zones assez calmes protégées des courants, proximité du continent ;
  • des causes globales de nature géodynamique (tectonique, volcanisme) modifiant la composition générale de l'eau de mer, en particulier sa concentration en silice ;
  • des causes globale de nature climatique :

    • la position des continents à des latitudes où prévaut un climat tropical humide favorise l'altération des silicates et l'enrichissement des océans en silice dissoute ;
    • la formation de blooms de grande ampleur à l'occasion desquels la matière organique et les tests produits se sédimentent rapidement sous forme d'agrégats. Ces phénomènes sont corrélés à une forte saisonnalité climatique. Ils sont favorisés par des modifications de la circulation thermohaline, de la CCD ou des upwellings. Ces derniers sont clairement associés aujourd'hui à des eaux de surface très fertiles où pullulent les radiolaires et aux sédiments siliceux qui en dérivent. La configuration orbitale qui favorise le plus le contraste entre les saisons correspond à une excentricité forte et une inclinaison forte.
La température de l'eau

La solubilité de la silice diminue lorsque la température diminue. Les eaux froides préservent la silice.

La proximité du continent

La solubilité de la silice est plus élevée dans les eaux douces. En se jetant en mer, les cours d'eau augmentent la charge en silice à proximité des estuaires, favorisant la précipitation de l'opale CT préférentiellement dans la bande côtière. Ainsi au Crétacé supérieur, les faciès siliceux se répartissent à la marge du Massif armoricain, du Massif central et du Massif ardennais qui restent émergés. On passe de nombreux bancs de silex continus à des nodules de plus en plus petits et de plus en plus rares.

L'oxygénation du sédiment

Le déclenchement de la précipitation du silex serait lié à une modification des propriétés physico-chimiques de l'eau de mer au contact du sédiment. Comme il a été vu, la silicification s'opère au voisinage du front rédox dans la boue dysoxyque. Le déplacement de ce front a une influence sur les réactions chimiques, particulièrement celles qui conduisent à la substitution de la calcite par la silice. Si les eaux sont plus oxygénées, le front rédox aura tendance à être bloqué et les premiers cristallites formés peuvent continuer leur croissance car ils restent dans une zone favorable. La pénétration de l'oxydation peut être guidée ou facilitée par des différences de perméabilités au sein de la boue, en particulier par l'existence de terriers ou d'empreintes de bioturbation. Une trop forte oxygénation qui placerait les premiers germes dans la zone oxyque pourrait avoir un effet contraire.

En résumé, il est raisonnable de penser que l'oxygénation et également le refroidissement de l‘eau (solubilité de la silice) sont des facteurs principaux dans la formation des silex. La paléo-oxygénation des océans, en particulier les fluctuations de la ZMO (zone à minimum d'oxygène) est un sujet actuellement bien étudié. Elle se révèle être sous la dépendance des paramètres de Milankovitch.

L'événement OAE2 (Oceanic Anoxic Event 2) ou CTBE (Cenomanian/Turonian Boundary Event)

En dehors du Pays de Caux, par exemple dans le Sussex, le sommet du Cénomanien est représenté par une formation peu épaisse, plus riche en niveau argileux, qualifiée de « Marnes à plenus » du fait de la présence commune de la bélemnite Actinocamax plenus. Il s'agit d'un faisceau de 5 couplets précessionnels (i.e. liés à un cycle de précession climatique) calcaire/marne compris entre la « Craie grise » cénomanienne et la « Craie blanche » turonienne. La partie inférieure est une surface d'érosion constituant une base de séquence.

Les marnes à plenus marquent un renouvellement important des faunes. Mais elles sont encore plus connues comme étant associées à une excursion positive exceptionnelle de l'isotope 13C. Le pic est interprété comme un enfouissement rapide de matière organique et il se retrouve également dans tous les sédiments océaniques contemporains. Cet événement anoxique est encore désigné par OAE2 (Oceanic Anoxic Event 2) ou CTBE (Cenomanian/Turonian Boundary Event). Le maximum du δ13C se place au sommet des marnes à plenus, mais le δ13C reste encore important dans les craies à niveaux marneux sus-jacentes (marnes Meads) dans lesquelles la limite biostratigraphique Cénomanien/Turonien est officiellement placée (Marne Meads 4).

La limite Cénomanien/Turonien est un bel exemple de la coïncidence entre un phénomène physique global et un turnover biologique lourd (renouvellement des faunes).

De manière générale, il existe une forte corrélation positive entre le gradient du δ13C et l'élévation du niveau eustatique des océans. Une transgression rapide sur des sols continentaux et la remobilisation de sédiments de la plate-forme entraîne un afflux de nutriments dans les mers épicontinentales, un développement important de la biomasse et, parallèlement, un enfouissement de carbone organique.

Des cinérites dans la craie

Dans le Bassin Anglo-Parisien, les craies, particulièrement celles du Turonien, comportent des intercalations marneuses de quelques centimètres à quelques décimètres d'épaisseur. Ces niveaux exceptionnels contrastent avec l'encaissant crayeux et ont fait l'objet d'études spécifiques portant sur :

  • la nature minéralogique de la fraction argileuse,
  • la nature minéralogique des minéraux insolubles à l'acide,
  • la géochimie des éléments en trace et des terres rares.

Le minéral argileux dominant est la montmorillonite (ou bentonite) du groupe des smectites riches en Mg. C'est ce même minéral qui est présent en quantité mineure dans la craie ordinaire et qui se retrouve ici distribué en grande quantité (jusqu'à 50% de la roche) dans un temps très court. Les bentonites peuvent provenir de l'altération soit de silicates continentaux (bentonites détritiques), soit de cendres volcaniques projetées dans l'atmosphère lors de violentes éruptions (bentonites cinéritiques).

Les bentonites cinéritiques peuvent présenter des esquilles de verre ou des cristaux automorphes de sanidine, de quartz ou de zircon. Le profil de terres rares normalisé par rapport aux Cody Shales est un outil utilisé pour différencier l'origine détritique ou volcanique des bentonites (en particulier, l'anomalie négative en europium des cinérites). Zr, Nb et Th sont des éléments en trace en plus forte concentration, tandis que Ba, Rb et K sont moins abondants.

La continuité horizontale des niveaux bentonitiques est remarquable. Ils se suivent en Angleterre, en France et en Allemagne. Voici un tableau récapitulant leurs noms usuels et leur nature présumée.

Angleterre Sud

Angleterre Est

Allemagne

bentonite

Shoreham 2

Little Weighton

?

***

Shoreham 1

   

Lewes

Ulceby

TF

 

Bridgewick 2

 

ME

 

Bridgewick 1

North Ormsby

TE

***

Caburn

Deepdale

TD1

***

Southerham 2

   

Southerham 1

Melton Ross

TC2

***

Glynde 1

Barton 1

TC

***

New Pit 2

   

New Pit 1

   

La position des volcans émetteurs est très hypothétique. Il pourrait s'agir de volcans rhyolitiques situés dans l'Atlantique Nord naissant, entre le Groënland et la Norvège, au Nord du Fossé de Rockall.