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Article | 29/06/2009

Du sel dans les anneaux de Saturne : un nouvel argument en faveur de la présence d'eau liquide à l'intérieur d'Encelade

29/06/2009

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

L'activité d'Encelade : le sodium comme marqueur d'eau liquide à l'origine des panaches.


Les NASA News du 24 juin 2009 et la lettre de Postberg et al. dans Nature du 25 juin 2009 annoncent la découverte de sels de sodium (NaCl principalement) dans l'anneau le plus externe de Saturne, l'anneau E. Les NASA News titrent : « Salt Finding From NASA's Cassini Hints at Ocean Within Saturn Moon » , ce qui peut se traduire par « la découverte de sel par Cassini suggère la présence d'un océan interne à Encelade ». Le titre est accrocheur, car cet océan est soupçonné depuis longtemps ; disons qu'il apporte une nouvelle donnée, de poids, qui rend cette hypothèse d'un océan enceladéen de plus en plus probable.

Qu'est-ce qui vient d'être publié ? Voici un rapide résumé fait avant le départ en vacances d'été. Des nouvelles plus détaillées seront éventuellement fournies à la rentrée de septembre, si de nouvelles données sont publiées.

Saturne, ses anneaux et son satellite Encelade

Saturne est entouré d'anneaux relativement proches du globe saturnien, sauf un qui en est très éloigné, l'anneau E. Cet anneau E a une autre particularité unique : c'est en son sein que tourne un « gros » satellite de Saturne, Encelade.

Le système saturnien : Saturne, ses anneaux, ses satellites

Figure 1. Le système saturnien : Saturne, ses anneaux, ses satellites

Le système saturnien, avec les anneaux proches (A, B, C, D, F et G), un certain nombre de satellites, et l'anneau E, au sein duquel gravite Encelade.


En novembre 2005, Cassini photographie des panaches de micro-cristaux de glace. Ces panaches sont des « volcans » de vapeur d'eau (également appelés geysers) qui s'échappent du pôle Sud d'Encelade et qui gèlent instantanément en arrivant à l'extérieur (la température externe est voisine de – 200°C) . Ce sont ces panaches qui alimentent l'anneau E.

Figure 2. Panaches de glace au-dessus du pôle sud d'Encelade

Les panaches de particules de glace, vus à contre-jour, au-dessus du pôle Sud d'Encelade ont été découverts en novembre 2005.


Figure 3. L'anneau E de Saturne au sein duquel gravite Encelade et ses panaches

Encelade (petit point noir au centre de l'image) alimente l'anneau E par ses panaches (tache très blanche sous Encelade).


Les survols suivants ont démontré que ces panaches étaient issus de profondes fractures (les rayures de tigres) situées au pôle Sud d'Encelade. La glace au niveau de ces rayures a une température d'environ – 100°C, contre – 200°C dans les plaines environnantes.

Encelade, rayures de tigre et panaches

Figure 4. Encelade, rayures de tigre et panaches

En haut, schéma obtenu en superposant des dessins de panaches sur une image du pôle Sud montrant les 4 principales rayures de tigre. Les numéros indiquent les 8 sorties des panaches les plus actifs. Le trait bleu représente le trajet virtuel de la lumière d'une étoile vue par Cassini et ayant servi à mesurer la densité optique de ces panaches.

En bas, schéma montrant le principe de la mesure de la densité optique des panaches, de leur localisation...


Ces panaches ont été analysés. Il contiennent surtout de l'eau, mais aussi des molécules organiques.

Analyse des panaches d'Encelade

Figure 5. Analyse des panaches d'Encelade

Analyse des molécules présentes dans les panaches enceladéens. L'eau représente 90% des molécules, mais il y a aussi monoxyde et dioxyde de carbone (8%), et molécules organiques en C1, C2 et C3 (plus de 1%).


Origine et moteur des panaches d'Encelade

La présence de ces panaches posent deux problèmes : (1) quelle est la source d'énergie à l'origine de ce "volcanisme", et (2) quelle est la source à l'origine de ces panaches. Il y a un relatif consensus quand à l'origine de l'énergie : les déformations dues aux marées. Le problème vient de la source de ces panaches : y a-t-il fusion de la glace, et donc présence d'eau liquide sous la surface d'Encelade, ou ces panaches de vapeurs proviennent-ils de la sublimation de glace « tiède » ?

Dès novembre 2005, la présence d'eau liquide sous la surface glacée était l'hypothèse favorite des chercheurs, que cet eau liquide forme un véritable océan sous-glaciaire ou de simples poches. En témoigne ce schéma du Photojournal de la NASA du 9 mars 2006.

Figure 6. Schéma proposant une origine aux panaches d'Encelade

Dans ce schéma, les panaches sont issus de poches d'eau liquide sous-jacentes. D'autres schémas proposaient un véritable océan sous glaciaire, et non pas des poches d'eau.


D'autres observations, d'autres modèles… ont permis de proposer un modèle global d'Encelade, expliquant panaches, figures tectoniques particulières….. L'article "Quasi-tectonique de plaques" sur Encelade de Planet-Terre fait le point sur la structure et le fonctionnement d'Encelade dans cette hypothèse de la présence d'eau liquide interne.

Schéma général d'Encelade, avec océan interne d'eau liquide

Figure 7. Schéma général d'Encelade, avec océan interne d'eau liquide

Modèle de la structure et de la dynamique internes d'Encelade dans l'hypothèse de la présence d'un océan liquide interne.


Une autre catégorie de modèles propose que ces panaches puissent être émis sans qu'il n'y ait de niveaux profonds d'eau liquide. Si les déformations dues aux marées déforment périodiquement le globe enceladéen, cela entraîne le jeu périodique de failles, jeux qui sont sources de frictions et de dégagements de chaleur au niveau de ces failles. Les failles (rayures de tigres) auraient une température suffisamment « tiède » pour être soumises à une sublimation intense, sans pour autant passer par de l'eau liquide.

Quand on sait l'importance de l'eau liquide sur l'éventuelle existence de vie, résoudre ce problème est capital !

Schéma général de fonctionnement des panaches sur Encelade en l'absence d'eau liquide

Figure 8. Schéma général de fonctionnement des panaches sur Encelade en l'absence d'eau liquide

Proposition alternative de fonctionnement des panaches sans la présence d'eau liquide. La glace froide est figurée en bleu ; la glace « tiède » en blanc. Ce serait le seul frottement périodique le long des failles qui réchaufferait la glace et entraînerait sa sublimation.


Recherche de sels de sodium pour tester la présence d'eau liquide

Pour essayer de résoudre ce problème, deux équipes ont cherché des sels de sodium dans l'anneau E. Pourquoi des sels de sodium ?

Si les panaches sont issus de la sublimation de glaces, même de glace salée, il ne contiendront que très peu de sodium, la vapeur s'échappant de la surface étant quasiment de l'eau « distillée » ne pouvant pas contenir de substances « réfractaires ». Ce modèle de sublimation pourrait par contre expliquer la présence de substances organiques volatiles comme le méthane, l'éthane, ces gaz s'échappant avec la vapeur d'eau lors des processus de sublimation.

Si les panaches sont issus d'eau liquide s'évaporant par ébullition (à basse température, vue la très faible pression) , il est tout à fait possible que cette ébullition entraîne avec la vapeur des micro-gouttelettes d'eau liquide (des embruns en quelques sorte), ces micro-gouttelettes gelant dès l'arrivée dans les régions superficielles très froides. Si l'eau liquide à l'origine des panaches contient des sels en solution, alors ces sels se retrouveront dans les micro-cristaux de glaces de panaches. Le sodium étant le cations soluble le plus à même de se trouver dans de l'eau liquide du moment que cette eau est en contact avec des silicates, deux équipes ont cherché du sodium dans l'anneau E.

Une première équipe (N. M. Schneider et al., Nature 459, 1102-1104, 25 June 2009) a recherché (avec des télescopes terrestres) de la vapeur de sodium facilement identifiable (spectralement parlant) dans l'anneau E. Cette équipe n'a pas détecté de trace de vapeur de sodium, ce qui fixe une limite supérieure à l'éventuelle présence de sodium gazeux dans l'anneau E.

Une deuxième équipe (F. Postberg et al., Nature 459, 1098-1101, 25 June 2009) a recherché in situ des sels de sodium dans les panaches enceladéens, en utilisant l'analyseur de poussières cosmiques (CDA = Cosmic Dust Analyser) embarqué à bord de Cassini. Et là, les résultats ont été positifs : environ 6% des particules glacées analysées sont constituées de glace salée, glace contenant entre 0,5 et 2% de sels. Ces sels sont principalement constitués de chlorures, hydrogénocarbonates et carbonates de sodium.

Abondance des différents ions dans les particules riches en sels (Na/H2O > 0,1%)

Il y a bien des sels dans certaines particules des panaches, un argument très fort pour l'existence de niveaux d'eau liquide sous la surface d'Encelade.

La légende de l'image originale du Photojournal de la NASA (image modifiée dans la figure ci-après) discute comment faire ces particules salées, comment n'en faire qu'une minorité, comment expliquer qu'il n'y ait que très peu de vapeur de sodium dans l'anneau E .

Différents modèles de genèse des panaches à particules salées d'Encelade

Figure 10. Différents modèles de genèse des panaches à particules salées d'Encelade

Les modèles A, B et C nécessitent la présence d'eau liquide.

La rareté des grains salés (6% des grains) semble exclure le modèle A. Une ébullition dans le vide superficiel serait relativement violente et la majorité des particules seraient salées. Si l'évaporation avait lieu dans une fissure étroite, cela laisserait des dépôts de sels dans la fissure, au niveau de la zone d'évaporation, ce qui boucherait rapidement la fissure. Le modèle B semble donc exclu, lui aussi.

C'est le modèle C qui a les faveurs des auteurs : ébullition dans une chambre "souterraine". La figure suivante explicite ce modèle C.

Si l'on voulait produire les particules salées sans présence d'eau liquide avec simple sublimation de la glace dans une fissure, on serait amené à proposer un modèle ad hoc, avec présence d'un niveau profond de glace salée (modèle D).


Origine des panaches à particules salées sur Encelade : modèle avec océan liquide sous-glaciaire

Figure 11. Origine des panaches à particules salées sur Encelade : modèle avec océan liquide sous-glaciaire

Détail du modèle C de la figure 10 : un « océan » d'eau liquide recouvre le noyau silicaté d'Encelade, et se « sale » à son contact. Cet océan est recouvert d'une épaisse banquise. Des poches vides d'eau liquide et donc pleine de vapeur communiquent avec la surface par des fractures. La vaporisation (à une température voisine de 0°C) libère quelques gouttelettes d'eau salée (sphère bleu sur le schéma de droite) qui sont entraînées vers le haut par le flux de vapeur. Ces gouttelettes grossissent sur leur trajet, par condensation de la vapeur. En se rapprochant de la surface et des zones à très faible température, la condensation recouvre les gouttelettes de glace (anneau blanc sur le schéma de droite). Issus de la condensation de la vapeur, cette glace n'est pas salée (ce qui explique la rareté de vapeur de sodium dans l'anneau E). Ce schéma n'explicite l'histoire que des 6% des particules salées. Les 94% des particules non salées proviennent directement de la condensation de la vapeur, sans gouttelettes d'eau salée faisant office de germe de nucléation.


L'exploration d'Encelade s'avère être un véritable feuilleton. Vous pouvez revivre ce feuilleton dans l'ordre chronologique en re-parcourant les articles suivant de Planet-Terre :

Ces données publiées les 24 et 25 juin 2009 et résumées ici renforcent considérablement l'idée d'un « océan », ou du moins de poches d'eau liquide sous la glace superficielle d'Encelade. Et quand on sait qu'en plus d'eau et de sels, ces panaches contiennent beaucoup de matière organique, il semble capital de « creuser » le sujet. Cassini devrait survoler 4 fois Encelade d'ici un an, et encore 12 autres fois d'ici 2015 si tout se passe bien. Peut-être en saurons nous plus sur ce monde extraordinaire.

Références complètes des articles cités

N. M. Schneider, M. H. Burger, E. L. Schaller, M. E. Brown, R. E. Johnson, J. S. Kargel, M. K. Dougherty, N. A. Achilleos, 2009. No sodium in the vapour plumes of Enceladus, Nature 459, 1102-1104 (25 June 2009) - doi:10.1038/nature08070

F. Postberg, S. Kempf, J. Schmidt, N. Brilliantov, A. Beinsen, B. Abel, U. Buck, R. Srama, 2009.Sodium salts in E-ring ice grains from an ocean below the surface of Enceladus, Nature 459, 1098-1101 (25 June 2009) - doi:10.1038/nature08046