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Article | 15/01/2002

Influence des continents sur la convection mantellique

15/01/2002

Edouard Kaminski

Institut de Physique du Globe de Paris et Université Paris 7

Laurent Guillou-Frottier

BRGM Orléans

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Modélisation analogique pour comprendre l'influence de la présence de continents sur l'organisation de la convection mantellique.


D'après l'article de Laurent Guillou et Claude Jaupart, 1995. On the effect of continents on mantle convection, Journal of Geophysical Research, 100, 24217-24238.

Les continents, comme des couvercles isolants au-dessus des cellules de convection

Parmi les particularités du système convectif terrestre, on peut citer bien sûr la présence de plaques océaniques, mais également la présence des continents. En effet, la convection thermique qui agite le manteau est déterminée d'une part par la capacité des roches à s'écouler (c'est-à-dire leur viscosité), d'autre part par la chaleur interne que doit évacuer le système (produite par désintégration radioactive), mais également par les conditions aux limites, c'est-à-dire le flux de chaleur interne provenant du noyau à la limite manteau/noyau, et les conditions thermiques à la surface des lithosphères océaniques et continentales. Or ces dernières sont très différentes :

  • La lithosphère océanique est plutôt fine, en moyenne une centaine de kilomètres : elle a une épaisseur nulle au niveau des dorsales, et son épaisseur maximale est limitée par le phénomène de la subduction. En raison de la faible épaisseur de la lithosphère océanique, elle évacue un flux de chaleur fort, en moyenne mesuré à 100 mW/m2.
  • Les continents au contraire ne sont pas entraînés en subduction, et l'épaisseur de la lithosphère continentale est beaucoup plus grande (estimée aux alentours de 250 km par les méthodes géophysiques). Le flux de chaleur estimé en base de lithosphère est également plus faible, aux alentours de 12 mW/m2.

On peut donc dire que les continents sont épais et froids : ils ont donc un effet de couvercle isolant sur la convection. Quels sont alors les effets de ce couvercle sur la convection mantellique ?

Ce mouvement de convection thermique s'établit si les différences de température et de densité sont importantes, si la viscosité n'est pas trop forte, etc....

Les résultats d'un modèle analogique convectif

Pour répondre à la question précédente, deux méthodes sont possibles :

  • on peut soit résoudre numériquement les équations de la convection en imposant aux limites du système des conditions thermiques différentes selon que l'on se trouve sous les continents ou sous les océans : la température est fixée sous les océans alors qu'elle ne l'est pas sous les continents.
  • soit développer un système analogique en laboratoire en faisant une mise à l'échelle du manteau terrestre.

C'est cette seconde méthode que nous allons suivre ici.

Comment faire une mise à l'échelle du manteau convectif terrestre ?

Les problèmes liés à la modélisation

Pour cela, il faut commencer par faire des choix sur la modélisation physique du problème qui nous intéresse. En effet si on arrivait à reproduire en laboratoire un système parfaitement équivalent à une Terre en miniature, on aurait devant les yeux la même complexité que dans la nature et on n'aurait rien appris sur la physique du système. Par contre, en isolant une problématique particulière, ici l'effet des continents, on peut arriver à comprendre quelle est l'influence d'un paramètre sur le comportement général du système. C'est cela le travail du modélisateur.

Quelles sont donc les notions importantes que doit incorporer notre système analogique ?

Le choix du fluide convectif

Tout d'abord on s'intéresse au manteau convectif, il nous faut donc un fluide animé de mouvements de convection semblables à ceux du manteau. Pour choisir ce fluide, on utilise ce que l'on appelle des nombres sans dimension, qui caractérisent le système. Par exemple en sport, on compare souvent les athlètes en fonction de leur rapport poids/puissance. En convection on utilise le nombre de Rayleigh, qui est défini comme le rapport entre l'énergie motrice pour la convection (la chaleur contenue dans le système, qui dépend de ses dimensions et de sa température moyenne) et les dissipations, dissipations visqueuses et par conduction de la chaleur.

Dans la Terre, on estime le nombre de Rayleigh entre 105 et 107. En laboratoire on obtient des valeurs semblables en utilisant des huiles à peu près cent fois plus visqueuses que l'eau dans des cuves d'une dizaine de centimètres de haut, avec une température basale de l'ordre de 50°C et une température de l'ordre de 10°C au sommet de la cuve (température maintenue par circulation d'eau dans des plaques de cuivre). On dit que l'on a une similitude dynamique entre notre analogue de laboratoire et le manteau terrestre : leurs dimensions ne sont pas les mêmes, mais leur fonctionnement physique est identique.

Le fonctionnement du modèle de convection SANS continent

Nous nous intéressons tout d'abord à la convection dans notre système sans continent isolant.


On observe que le système est chaotique (si on le regarde à deux instants différents, l'image n'est pas la même), et que la convection a lieu sous forme de forts courants chauds ascendants et froids descendants, des panaches, qui se déplacent dans le temps. Il ne semble pas a priori que ce comportement soit équivalent à celui de la Terre.

En effet, sur Terre on peut faire l'hypothèse que le volcanisme de points chauds comme Hawaï provient de panaches chauds, mais il semble que le mouvement des plaques océaniques correspond à de grandes cellules de convection qui ne sont pas apparentes à ce stade dans notre analogue. Enfin, les zones de subduction sont des structures 2D dont la géométrie est assez éloignée de celle d'un panache.

Il nous manque donc un ingrédient important pour se rapprocher du système terrestre. Rajoutons un continent et testons son influence sur notre analogue....

Le fonctionnement du modèle de convection AVEC continent

Comment rajouter un continent ? Nous avons vu qu'au niveau thermique, un continent est une zone froide et épaisse, qui se comporte comme un isolant thermique. Dans notre expérience, la condition de température fixée est imposée par une plaque de cuivre. Pour simuler la présence d'un continent, on introduit au centre de la plaque un matériau de conductivité thermique proche de celle du fluide et qui permet de retrouver l'effet d'isolation thermique.

Précisons que le matériau choisi et le fluide sous-jacent ont des conductivités thermiques voisines, comme dans le cas réel entre continent et manteau terrestre. Autrement dit, le "continent expérimental" n'est pas un isolant thermique. L'effet d'isolation thermique s'explique par le faible flux de chaleur qui s'évacue sous le continent et non par l'imposition d'une faible conductivité thermique.

Quel est le résultat obtenu pour les nombres de Rayleigh considérés ici ?

Celui-ci dépend dans le détail de la taille du continent par rapport à la taille du système, mais on peut donner un résultat général illustré par les photographies pour différentes valeurs des paramètres expérimentaux (voir figures 2, 3 et 4). Il y a une organisation générale de la convection qui était jusqu'alors chaotique : à présent les panaches ascendants sont focalisés sous le continent alors que les courants descendants sont bidimensionnels et sont localisés à la périphérie des continents.




Sur la figure 5, on visualise nettement la tête du panache. On constate que le panache ascendant sous le continent n'est pas nécessairement continu et qu'il peut fonctionner par pulsations.


Connaissant ces résultats, on peut essayer de comprendre leurs origines physiques et d'extrapoler leurs conséquences pour la Terre (c'est bien l'objet de la géophysique).

Explication géophysique de l'effet des continents

D'où vient donc l'effet des continents ?

À cause de l'effet isolant créé par la présence des continents, ces derniers évacuent mal la chaleur (vérifications faites lors des expériences). Il y a donc accumulation de chaleur à leur base, et le matériel y devient de plus en plus chaud. Cela induit un flux de chaleur depuis le centre du continent chaud vers les bords froids du continent et ceci organise la convection à grande échelle avec ascension de matériel chaud sous le continent et descente de matériel froid en périphérie.

Cela nous amène directement aux conséquences pour la Terre : les continents permettent d'organiser la convection chaotique (qui se produirait aux nombres de Rayleigh terrestres) en cellules convectives de dimension comparable à celle des continents, et elle peut avoir un rôle dans la formation des zones de subduction en bordure des continents.

Enfin, le courant chaud localisé sous les continents a probablement un rôle important dans la rupture des continents et l'initiation du cycle de Wilson : on imagine facilement qu'au bout d'un certain temps le continent chaud va se déchirer sous l'effet du courant latéral présent à sa base et donner naissance à un nouvel océan.

Pour finir, notez que nous avons illustré comment un seul paramètre, la présence d'un continent, pouvait modifier profondément la structure de la convection. Ceci montre bien que la difficulté de l'étude de la convection terrestre : d'une part la physique complexe doit être étudiée par étapes pour chercher à comprendre qui est responsable de quoi (ici les continents), et d'autre part le problème doit être appréhendé dans sa globalité (continents, zones de subduction, plaques…) pour interpréter les données géologiques.

Ces notions de base méritent d'être gardées en tête lorsqu'on essaie de comprendre la place des zones de subduction et des dorsales dans la convection mantellique.