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Article | 06/02/2015

Philae et la comète Churyumov-Gerasimenko (67P/CG) : atterrissage du 12 novembre 2014 et premiers résultats

06/02/2015

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Rosetta a largué le module Philae qui s'est posé sur Chury et, après quelques rebonds, a pu faire de première analyses jusqu'à épuisement de sa pile. Attente du réveil de Philae... et de la publication des analyses effectuées.


L'atterrissage du 12 novembre 2014 : impact, rebonds et immobilisation définitive

Le 12 novembre 2014, Philae quitte la sonde Rosetta à laquelle il était accroché et se pose sur Churuymov-Gerasimenko. Philae n'était pas manœuvrable, Rosetta l'était. Rosetta, qui était en orbite autour de la comète depuis début août 2014, avait été placée ce 12 novembre sur une trajectoire l'amenant en collision avec la comète. Avec des ressorts, elle a éjecté Philae qui a continué sur la même trajectoire en direction de la comète, alors que la sonde Rosetta a remis son moteur en marche et s'est replacée sur une orbite circum-cométaire n'entraînant pas de collision.

Philae est largué à 9h35min (heure de France métropolitaine) et atteint la surface de Rosetta ce 12 novembre 2014 à 16h34. Et c'est là que surviennent les problèmes. Il arrive comme prévu à une vitesse très faible (3 km/h, soit 95 cm/s), vitesse légèrement inférieure à la vitesse de libération. Mais les dispositifs d'accrochage ne fonctionnent pas, et Philae rebondit. Il parcourt alors une trajectoire parabolique qui va durer 1h51min à la vitesse moyenne de 38 cm/s. Il retombe à environ 1 km de son point d'arrivée, et rebondit pour la deuxième fois à la vitesse moyenne "extraordinaire" de 3 cm/s. Il touche de nouveau le sol à 18h32min, quelques mètres plus loin, et s'y immobilise définitivement. Il est alors "coincé" à l'ombre au fond d'une espèce de trou (genre crevasse), au pied d'une falaise. Philae n'a pas encore été repéré avec exactitude à ce jour (5 février 2015).

Figure 1. Animation de l'ESA montrant une mosaïque de 19 photos prise par la caméra OSIRIS de Rosetta pendant la "descente" de Philae vers 67P/CG

L'image correspond à une copie d'écran de l'animation lors du passage à la 4ème photo. Les heures sont indiqué en TU (rajouter 1h pour avoir l'heure légale de France métropolitaine). La première image a été prise à 10h18min55s TU, la dernière à 14h23min51s TU, le 12 novembre 2014.



La comète 67P/CG vue depuis Philae au cours de son approche, 12 novembre 2014

Figure 3. La comète 67P/CG vue depuis Philae au cours de son approche, 12 novembre 2014

Image ROLIS (ROsetta Lander Imaging System) prise à 14h38min TU.


Figure 4. Position du point d'atterrissage prévu (croix rouge) reporté sur une image OSIRIS petit champ prise le 2 septembre 2014 (5 semaines avant la séparation Rosetta/Philae) depuis une distance de 50 km de la surface

Ce site d'atterrissage a été nommé Agilkia. Agilkia est le nom d'une île du lac d'Assouan sur laquelle ont été remontés les temples de Philae après leur démontage-déplacement due à la construction du barrage d'Assouan.


Figure 5. Position du point d'atterrissage prévu (croix rouge) reporté sur une image OSIRIS petit champ prise le 14 septembre 2014 (3,5 semaines avant la séparation Rosetta/Philae) depuis une distance de 30 km de la surface

Le gros bloc visible presque au centre de la croix entre les extrémités interne des branches supérieure et droite correspond au gros bloc de la figure 6


Le sol de la comète vu par Philae (caméra ROLIS) depuis 40 m d'altitude, une quarantaine de secondes avant l'atterrissage (Philae avance à environ 95 cm/s = 3,4 km/h)

Figure 6. Le sol de la comète vu par Philae (caméra ROLIS) depuis 40 m d'altitude, une quarantaine de secondes avant l'atterrissage (Philae avance à environ 95 cm/s = 3,4 km/h)

Le gros bloc, en haut à droite, mesure environ 5 m de diamètre. Il correspond au bloc presque au centre de la croix rouge de la figure précédente.


Position de la zone d'atterrissage photographiée par Philae depuis 40 m d'altitude sur une photo à plus grand champ prise par Rosetta depuis 30 km d'altitude


Images du premier contact de Philae avec le sol de la comète 67P/CG

Figure 9. Images du premier contact de Philae avec le sol de la comète 67P/CG

(1) Image prise par OSIRIS depuis Rosetta 3min34s avant le contact depuis une distance de 15 km. Le gros bloc presque au centre de l'image mesure environ 5 m de diamètre. L'atterrissage (et le rebond) aura lieu dans le cercle rouge.

(2) Image prise 1min26s après le contact et le rebond, qui a eu lieu au centre du cercle rouge. Une tache sombre est apparue au centre de ce cercle, c'est la marque de l'impact qui a du "remuer" la poussière superficielle.

(3) Même image que (2) mais où deux détails absents sur l'image (1) et présents sur la (2) ont été cerclés de rouge. Le cercle supérieur contient une tache claire : Philae qui a commencé son rebond et se trouve déjà à quelques dizaines de mètres du point d'impact (il n'avance qu'à environ 40 cm/s). Le cercle inférieur contient une tache sombre : l'ombre de Philae sur le sol.


Figure 10. Détail des contacst et rebonds de Philae sur mosaïque de fond réalisée à partir de 4 images OSIRIS prises entre 16h14min et 16h43min (heure de France métropolitaine), 20min, 15min et 11min avant l'impact, puis 9min après l'impact

Philae apparaît comme quatre tout petits points blancs sur ce "tirage" à résolution réduite. L'ESA a zoomé ces quatre zones où l'on voit Philae et les a disposées sur la mosaïque (les 3 zooms en bas à gauche, et le zoom en haut à droite). Les deux zooms où on ne voit pas Philae correspondent au site d'atterrissage avant et après l'impact et le rebond.


Figure 11. Image prise par Rosetta le 12 novembre 2014 à 18h18min (heure française), 14min avant l'immobilisation définitive de Philae au fond de son "trou"

L'équipe OSIRIS pense que le point blanc (croix rouge) visible au-dessus de l'horizon correspond à Philae. Philae va s'immobiliser au sol derrière la crête, sans doute de l'autre côté de la zone cerclée du trait jaune pointillé.


Figure 12. Mosaïque de deux images OSIRIS (prises le 13 décembre 2014 depuis 18 km de la surface) montrant la zone où est très probablement "caché" Philae (ellipse rouge)

Cette zone a été déterminée par l'étude des différentes photos où Philae était visible pendant son rebond, et par des méthodes indirectes basées sur la réception (par Philae) des signaux émis par Rosetta (expérience CONSERT (cf. voir Homing in on Philae’s final landing site).

Cette zone d'environ 350 m de long pour 30 m de large est située sur les bords d'une vaste dépression a fond plat traversée par un léger escarpement nommée Hatmehit, d'environ 1 km de diamètre.


Positions de la zone du premier contact et de la zone d'immobilisation définitive de Philae près d'Hatmehit sur ma comète Chury

Figure 13. Positions de la zone du premier contact et de la zone d'immobilisation définitive de Philae près d'Hatmehit sur ma comète Chury

Les deux cercle/ellipses rouges correspondent aux localisations communiquées par l'ESA. Le trajet en jaune est tout à fait conjecturel, et n'a pour but que de montrer le genre de rebond (grande distance mais petite vitesse) effectué par Philae.


La géologie du site d'immobilisation définitive

Coincé dans son "trou" mais fonctionnant parfaitement, Philae a pu travailler pendant tout le temps que sa pile non rechargeable fournissait de la puissance électrique. Mais au bout de trois jours, cette pile est "morte", vidée. Elle aurait dû être prise en relais par des batteries rechargeables par des panneaux solaires, ce qui aurait permis à Philae de continuer à travailler encore plusieurs mois. Mais au fond de son trou, Philae ne reçoit le soleil que 1,5 h par "jour cométaire" (1 jour cométaire = 12,4 h). C'est insuffisant pour charger les batteries. L'ESA avait prévu que les batteries ne puissent pas se charger. Elle avait établi un planning serré pour faire le maximum de mesures et d'observations pendant la durée de vie de la pile non rechargeable. D'après les équipes de l'ESA, 80% des mesures et expériences programmées ont été effectuées avec succès. Mais aucun résultat n'a encore été publié dans les revues scientifiques à comité de lecture (ce qui est normal vu les délais) et seules des images des caméras CIVA, et quelques analyses très préliminaires des gaz ont été publiées.

Voici quelques reconstitutions du cadre morphologique où est coincé Philae, ainsi que les images publiées et un rapide commentaire.

Reconstitution d'un aspect possible du contexte morphologique où est coincé Philae

Figure 14. Reconstitution d'un aspect possible du contexte morphologique où est coincé Philae

Philae est quasiment couché sur son flanc, avec l'un de ces trois pieds vers le bas, et les deux autres vers le haut.


Schéma montrant la position de Philae, couché sur le flanc, et l'orientation des 6 images prises par les caméras CIVA

Figure 15. Schéma montrant la position de Philae, couché sur le flanc, et l'orientation des 6 images prises par les caméras CIVA

Philae était entouré de 6 caméras (numérotées de 1 à 6) sur ses flancs, chargées à elles six de faire un panorama circulaire de 360° (dans le cas d'un Philae posé verticalement). La caméra 2, a photographié le ciel. Les caméras 3 et 4 ont photographié un escarpement bien éclairé par le soleil, avec un recouvrement permettant de faire une mosaïque. Les caméras 5 et 6 ont photographié des gros plans plus ou moins flous du sol. La caméra 1 a photographié un autre escarpement mais à l'ombre et à contre-jour.


Mosaïque de 2 images couvrant la paroi éclairée par le Soleil

Figure 16. Mosaïque de 2 images couvrant la paroi éclairée par le Soleil

En haut à gauche, l'un des trois pieds de Philae.

Les trois photos suivantes montrent des détails de cette paroi.




Zoom très agrandi sur le centre de la paroi, là où sa nature se distingue le mieux

Figure 19. Zoom très agrandi sur le centre de la paroi, là où sa nature se distingue le mieux

La nature de la paroi est typiquement "bréchique". En bas à droite de l'image, on devine une surface claire qui semble rayée par des stries "obliques".


Cette paroi semble constituée de brèche, au moins dans sa partie médiane que l'on voit très bien. La brèche semble se continuer jusqu'au sommet de l'affleurement, malgré la diminution de la résolution. Les éléments de cette brèche ne sont pas parfaitement imbriqués, semblant laisser des vides entre eux. Sur Terre, on pourrait qualifier cette brèche de "brèche sédimentaire", comme on en trouve sous forme d'éboulis au pied de falaises et d'escarpements. La partie inférieure, au contraire, semble constituée de "roche" massive très fracturée. Mais les blocs limités par des fractures s'engrènent les uns les autres comme les pièces d'un puzzle. Cette partie inférieure ne semble pas constituée de "brèche sédimentaire" et ne semble donc pas constituée d'éboulis, mais de "roche" massive, certes fracturée, mais "en place". On peut tenter de localiser avec précision la limite entre ces deux formations, possible limite qui est figurée par une ligne rouge sur la figure suivante. Sur cette même figure, une flèche rouge indique la localisation et la direction des possibles stries bien visibles sur le zoom sur le centre de la paroi. On serait sur Terre, cet affleurement pourrait être interprété de la façon suivante : substratum fracturé mais en place recouvert d'éboulis non jointifs et mal consolidés. Le glissement de ces éboulis sur leur substratum aurait strié ce dernier. Toutes ces interprétations ne sont que des propositions purement personnelles. Elles pourraient être remises totalement en cause par d'éventuelles autres images prises pendant les trois jours de fonctionnement de Philae avec un autre éclairage, une autre résolution... images non encore publiées.

Image interprétée de la paroi éclairée par le Soleil contre laquelle serait coincé Philae

Figure 20. Image interprétée de la paroi éclairée par le Soleil contre laquelle serait coincé Philae

On aurait, en bas, un substratum fracturé mais massif et, en haut, une accumulation d'éboulis mal consolidés. La limite entre ces deux "formations" est figurée par une ligne rouge. Des stries possibles, peut-être causées par le glissement des éboulis sur le substratum, sont localisées et orientées par une flèche rouge.




La suite : publication des analyses et réveil attendu de Philae

Tout d'abord, il faut attendre la publication de résultats provisoires sur les sites de l'ESA (on peut rêver !) puis des résultats plus approfondis publiés par des revues scientifiques. Rappelons les expériences dont les résultats sont attendus, puisque 80% des expériences ont réussi, et ceux que l'on n'espère plus car il semble que l'expérience ait raté pendant les 3 jours de vie de la pile. Les diverses expériences (ordre alphabétique) dont on attend les résultats sont les suivantes.

  • APXS (Alpha Particule X–ray Spectometer) devrait nous donner la composition du matériel cométaire.
  • CIVA (Comet Infrared and Visible Analyser) : ensemble de caméras (dont une couplée à un microscope et d'autres à un specctromètre infra-rouge).
  • CONSERT (COmet Nucleus Sounding Experiment by Radiowave experiment) : récepteur couplé avec un radar embarqué sur Rosetta pour connaître la structure interne de la comète.
  • COSAC (COmetary SAmpling and Composition experiment) : pyrolyseur et chromatographe pour analyser gaz et composés organiques contenus dans le sol.
  • Ptolemy : spectromètre de masse pour analyser la composition moléculaire et isotopique des gaz péri-cométaires et des composés volatils délivrés par COSAC.
  • MUPUS (MUlti-PUrpose for Surface and subsurface science) pour étudier les propriétés thermo-mécaniques du sol.
  • ROLIS (ROsetta Lander Imaging System) : caméra située sous Philae.
  • ROMAP (ROsetta lander MAper and Plasma monitor) qui analysera le champ magnétique.
  • SD2 (Sample and Distribution Device) pour forer et distribuer les produits de forage à COSAC et Ptolemy.
  • SESAME (Surface Electrical, Seismic and Acoustique Monitorig Experiment) pour étudier les propriétés thermo-acoustiques du sol.

Pour l'instant (5 février 2015), seuls des résultats très partiels de Ptolemy ont été rendus publiques. Philae a analysé les gaz pendant son rebond, alors qu'il survolait la surface ensoleillée de la comète, puis quand il était coincé au fond de son trou. Le blog de l'ESA (cf. The quest for organic molecules on the surface of 67P/C-G ) révèle des résultats préliminaires qualitatifs : Spectra show water and are rich in organics. Les analyses faites à l'ombre, une fois Philae immobilisé au fond du trou, indiquent spectra show mainly water, very low organics. Il semblerait donc que des molécules organiques volatiles (lesquelles, l'ESA ne le dit pas) accompagnent la vapeur d'eau au-dessus de la surface réchauffée par le Soleil, mais qu'à l'ombre la vapeur d'eau domine largement.

Les "bruits" qui ont fuités indiqueraient que SD2 n'aurait pas réussi son forage et n'aurait rien délivré à COSAC.

La deuxième chose à attendre, c'est l'éventuel réveil de Philae. En effet, ce réveil est possible car 67P/CG se rapproche du Soleil jusqu'en août 2015. D'autre part, l'inclinaison entre l'axe de rotation de Chury et le plan de son orbite est à l'origine de saisons, et les jours rallongent un peu. Deux raisons d'espérer que les panneaux solaires fourniront d'ici quelques mois assez d'énergie pour faire sortir Philae de son hibernation.